« Comme il était venu à la maison pour faire sa besogne » (Béréchit 39,11)
Rav Meïr Shapira de Lublin, dans son Nitsotsé Or haMeïr, soutient que Yossef, depuis sa plus tendre enfance, avait eu une discussion animée avec son père, sur le thème du rapport du Juif avec l’environnement extérieur.Ya’aqov soutenait qu’en tant que peuple désigné par D.ieu, le devoir des Juifs consiste à être « des hommes intègres, vivant sous la tente » – c'est-à-dire à rester à l’abri des perturbations du monde extérieur. Pour ce faire, il incombe au peuple juif de se maintenir à une distance de sécurité des nations du monde, et d’éviter toute démarche visant à accroître son assimilation.Yossef considérait, pour sa part, qu’un rapprochement et une meilleure intégration au sein des nations représentaient des occasions à saisir, pour enrichir leur potentiel spirituel par de nouvelles épreuves. A ses yeux, c’est au contraire en imitant les coutumes des nations, en vivant en parfaite harmonie avec leur civilisation – sans se retrancher derrière des barrières protectrices – que l’on pourra accroître l’enjeu de nos épreuves ici-bas. D’après lui, surmonter de telles épreuves garantit à l’homme une ascension spirituelle bien plus considérable.
Le verset (37,2) témoigne que Yossef était « un jouvenceau » – Rachi explique qu’il « s’adonnait aux manières des jeunes gens : il arrangeait sa chevelure et soignait ses yeux pour paraître plus beau ». Confiant dans sa doctrine, cette attitude ne le perturbait pas outre mesure. Il considérait au contraire qu’en laissant de la place à son mauvais penchant pour mieux le dominer, il pourrait servir son Créateur de façon plus intense.
Mais au moment où la femme de Potifar le harcèle et le pousse à la faute, Yossef se remet en question : « D’où cette femme puise-t-elle tant d’audace ? Qu’est-ce qui lui permet d’être aussi certaine que je finirai par lui céder ? » Aussitôt, la réponse jaillit dans son esprit : « C’est parce qu’elle m’a vu arranger ma chevelure ! » C’est à ce moment qu’apparut soudain à ses yeux – comme en témoignent nos Sages – le visage de son père, cet homme qui par sa prestance et sa réserve incarnait un havre de sécurité face aux tentations du monde extérieur. A l’heure de vérité, il se rallie à la doctrine de Ya’aqov, parce qu’il réalise que s’il s’y était toujours conformé, il aurait probablement été épargné d’une épreuve aussi périlleuse.
Une autre raison amena Yossef à se souvenir, à cet instant précis, du visage de son père. A son retour de ‘Haran, Ya’aqov avait déclaré à ‘Essav : « J’ai vécu [garti] auprès de Lavan » – allusion faite à ce qu’il avait « observé les six cent treize commandements [valeur numérique de garti] sans s’inspirer des agissements de Lavan » (Rachi ad loc.). Or la seconde partie de cette assertion mérite quelques explications : était-il donc si méritoire de ne pas imiter les machinations tortueuses de Lavan ? C’est qu’en fait, derrière cette déclaration se cache une idée très profonde : en voyant l’acharnement avec lequel Lavan s’était employé à retrouver ses idoles, Ya’aqov se reprocha de « ne pas s’être inspiré de ses agissements », car le zèle et le dévouement de Lavan pour ses futilités auraient dû l’inspirer à servir le Saint béni soit-Il avec au moins autant d’ardeur.
C’est cette même leçon que Yossef dégagea de l’empressement que Potifar manifesta pour son culte idolâtre. Le Midrach Tan’houma relate en effet : « Ce jour était un jour particulier, un jour de festivités, un jour de célébration pendant lequel tous se rendirent dans le lieu de culte. [La femme de Potifar] se dit alors : “Il n’est pas de jour plus approprié pour attirer Yossef à moi.“ Elle déclara à ses proches : “Je suis malade et ne peux me joindre à vous.“ » En ce jour, Potifar se consacre ainsi à ses dévotions religieuses et rien ne l’en distrait, pas même sa femme malade dont il ne fait guère cas. Impressionné par tant de ferveur, Yossef opère une introspection et réalise que l’attitude de son maître doit constituer pour lui un exemple de dévotion pour son service du Créateur. A cet instant précis, il se souvient que son père avait tenu le même raisonnement à son retour de ‘Haran, et son image lui revient alors à l’esprit. Galvanisé par ce souvenir, Yossef se ressaisit et, pénétré d’une force nouvelle, il domine ses passions et surmonte l’épreuve.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.