Vayigach. Le cœur des Justes est entre leurs mains

« Yossef ne put se contenir davantage devant tous ceux qui l’entouraient » (Béréchit 45,1)

« Il ne pouvait supporter l’idée que les Egyptiens présents assistent à l’opprobre de ses frères, lorsqu’il se révélera à eux. » (Rachi)

« Rabbi ‘Hama bar ‘Hanina dit : Yossef n’a pas agi prudemment [en s’isolant avec ses frères], car si l’un d’eux l’avait frappé, il aurait été tué sur le coup. » (Midrach Rabba 93,9)

Rav Yéhouda Leib ‘Hassman fait remarquer (Or Yahel tome III) que selon ce Midrach, Yossef prit un risque inconsidéré pour épargner une humiliation publique à ses frères. Cette idée apparaît en fait explicitement dans le Midrach Tan’houma (Vayigach 5) au nom de rav Chmouel bar Na’hman : « Yossef prit un très grand risque à ce moment, car si ses frères l’avaient tué, personne n’aurait jamais su qui il était. Pourquoi pria-t-il tout le monde de sortir malgré tout ? Yossef se dit : “Il est préférable que je sois tué, plutôt que d’humilier mes frères en présence des Egyptiens ! ” Représentons-nous bien les faits : pendant toute la durée des intrigues menées contre ses frères, Yossef est rongé par l’espoir de revoir son vieux père. Cependant, il réprime ce sentiment, et s’abstient de se révéler à eux pour leur permettre d’expier leur faute. Mais le temps finit par produire son effet : à l’instant où il entend Yéhouda décrire la souffrance de Ya’aqov, il perd son sang-froid (Midrach). Devant l’image de son père submergé par le chagrin, Yossef décide de se révéler à ses frères, avant le moment prévu. L’heure est donc cruciale : son identité va enfin éclater au grand jour, et il lui sera donné de revoir son père bien-aimé ! Pourtant il réfrène son émotion et ordonne à ses serviteurs de quitter les lieux sans se dévoiler. L’heure est cruciale, mais elle ne justifie pas l’humiliation de ses frères.

C’est à l’occasion de ces retrouvailles émouvantes que se révèle la grandeur morale de Yossef. Premièrement, il prend cette décision au risque de sa propre vie. Il sait que ce choix risque de tout lui faire perdre au dernier moment : si ses frères se laissent emporter, il sera tué sur-le-champ ; il ne reverra donc jamais son père, qui mourra endeuillé et meurtri jusqu’à son dernier jour. Bien plus, c’est l’édifice complet érigé par les patriarches, depuis Avraham jusqu’aux douze Tribus, qui s’effondrera ainsi totalement. Mais pour Yossef, ce risque reste néanmoins préférable à celui d’avilir ses frères aux yeux des Egyptiens.Le second point n’est pas moins remarquable : à cet instant, Yossef laisse apparaître son incroyable maîtrise de soi. Arrivé à ce stade, il se sent incapable de se contenir davantage : les sentiments qui le tiraillent décuplent d’intensité, et l’empêchent de continuer son manège. Mais en dépit de ses émotions, il est capable d’attendre que tous les Egyptiens présents quittent la salle. La tempête gronde déjà en lui, il est écartelé par l’envie impérieuse de se révéler à ses frères, mais il réprime son élan. Il se livre sciemment à un danger de mort, il bride le cri qui brûle à ses lèvres : « Je suis Yossef » et il attend patiemment que tout le monde sorte de la pièce.Telle était l’envergure spirituelle de nos ancêtres : des hommes animés d’une conscience morale intransigeante, par laquelle ils maîtrisaient toutes les fibres de leur être.

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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