« Pharaon fit vérifier, et de fait aucun animal du bétail des Hébreux n’était mort. Et son cœur s’obstina » (Chémot 9,7)
Un examen attentif des plaies d’Egypte nous révèle qu’invariablement, au moment où le fléau frappe, Pharaon semble accepter de laisser partir les enfants d’Israël. Mais dès le premier instant d’apaisement, il se rétracte. Selon rav Yéhouda Leib ‘Hasman (Or Yahel tome III), cette constatation invite chacun de nous à une leçon de vie fondamentale, car les épreuves et les vicissitudes qui ponctuent le quotidien de tout homme ne sont qu’une autre forme des plaies qui s’abattirent sur Pharaon.Nous avons l’intime conviction que toute épreuve est destinée à nous permettre de nous améliorer. Selon le Cha’aré Téchouva de Rabbénou Yona, le mot yissourin [épreuves] dérive de la racine moussar, mot qui désigne la morale au sens large du terme. Mais regrettablement, même quand il saisit bien le message véhiculé par ses épreuves, l’homme est enclin à reprendre ses tristes habitudes dès que survient une accalmie. Et le voilà qui se comporte exactement comme Pharaon !
Pour mieux comprendre ce sujet, il convient d’éclaircir un point relevé par le verset : pourquoi le fait qu’aucun animal du bétail hébreu n’était mort de la peste incita-t-il Pharaon à s’entêter encore ? Au contraire, cela n’aurait-il pas dû plutôt l’encourager à se repentir, ou tout au moins à reconsidérer sa décision de ne pas libérer le peuple juif ?Ce comportement procède en vérité de la nature humaine : l’homme estime toujours que sa manière d’agir est juste et légitime, car à ses yeux, jamais son attitude n’est incriminable ! Même lorsque ses fautes sont criantes et incontestables, il trouve invariablement toutes sortes d’explications pour se justifier. Et si l’on voit parfois certaines personnes avouer leur erreur de manière ostentatoire, c’est souvent pour faire bon effet et s’attirer l’admiration du public. Or dans ces circonstances, il n’est guère difficile de manifester une repentance apparente, tout en persistant, au fond de soi, à se voir blanc comme neige…Mais lorsqu’on expose à l’homme ses méfaits, sans le laisser se dérober par des prétextes fallacieux, les choses changent radicalement. Il perd alors toute contenance : mis publiquement à nu, personne n’ignore désormais la bassesse de ses actes. Et comme rien n’est plus dégradant pour l’homme que de reconnaître son erreur, son instinct lui dicte de n’en rien faire et de camper fermement sur ses positions. En effet, se dit-il, comment pourrais-je condamner ce que j’ai commis la veille ? L’unique solution consiste à persister dans la même direction, et à proclamer que l’on n’éprouve aucun regret pour les actes passés…
Cette même logique se retrouve dans les réactions de Pharaon tout au long des dix plaies : en voyant qu’aucune bête des Hébreux n’avait péri des suites de la peste, il craignit que le peuple égyptien n’impute la destruction du pays à son refus de laisser partir Israël. Et s’il venait à présent à céder aux demandes des Hébreux, on pourrait l’accuser de n’avoir réussi, par son entêtement, qu’à conduire son pays dans l’abîme ! C’est pourquoi, fidèle à lui-même, il décida de ne démordre en rien de sa position, et « de s’obstiner dans son cœur à ne pas renvoyer Israël ».C’est à ce propos que le verset dit : « Le péché guette à la porte » (Béréchit 4,7). Sur le pas de cette porte par laquelle l’homme peut échapper à sa condition – par une introspection objective et un repentir sincère –, la faute le guette et l’empêche de sortir. Bien plus : elle s’évertue à le maintenir dans l’obscurité la plus opaque, le contraignant à creuser lui-même la tombe de sa déchéance, l’éloignant toujours davantage du processus de téchouva.
Nos Sages formulent ainsi cette idée : « “Le péché guette à la porte“ – au début, le mauvais penchant se présente comme un invité, et en fin de compte, il devient le maître de maison » (Béréchit Rabba chap.22). Le mauvais penchant guette l’homme de l’extérieur et n’attend de sa part qu’un assentiment, aussi ténu soit-il. Mais dès l’instant où on lui entrouvre un tant soit peu la porte, il force l’entrée et s’impose dans le cœur pour finalement refuser d’en sortir à jamais. Se comportant comme le maître de maison, il obstrue la sensibilité du cœur jusqu’à abrutir totalement celui qu’il habite. Voilà pourquoi il est si important de ne jamais céder la plus petite place au mauvais penchant.Que nous reste-t-il donc à faire ? Nos Sages répondent sans détour : « Le Saint béni soit-Il a déclaré à Israël : “Pratiquez-Moi une ouverture comme le chas d’une aiguille, et J’ouvrirai pour vous des portails par lesquels peuvent passer des bœufs attelés à leurs charrettes » (Chir haChirim Rabba chap.5).
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.