Vaera. Soutenir son prochain dans l’épreuve

« Voici les chefs de leurs familles : les fils de Réouven… » (Chémot 6,14)

Le Chlah s’interroge : lorsque les tribus de Réouven et Chim’on sont évoquées dans ces versets, pourquoi sont-elles présentées dans les mêmes termes – « Les fils de Réouven (…) les fils de Chim’on (…) », alors que la descendance de Lévi est introduite par « Et voici les noms des enfants de Lévi » ? Selon ce maître, cette nuance tient du fait que la tribu de Lévi n’a pas connu les affres de l’oppression égyptienne. Conscient du privilège dont seraient gratifiés ses enfants, Lévi tint à partager la douleur de ses frères par une marque de compassion. Pour cela, il donna à chacun de ses trois fils un nom évoquant l’exil : Guerchon – parce qu’ils furent des étrangers [guérim] dans une terre d’accueil. Kéhat – au nom des souffrances qui leur firent grincer [kéha] les dents, et enfin Mérari – pour évoquer l’amertume [mériroute] qu’ils éprouvèrent. Voilà pourquoi le verset met ici l’accent précisément sur « les noms des enfants de Lévi ».

Le Chlah précise par la suite qu’il nous incombe de ressentir les épreuves endurées par la communauté, quand bien même en serions-nous nous-mêmes épargnés. C’est pourquoi, en réponse à la question de Moché, D.ieu lui révéla l’un de ses Noms – « Ekiyé Acher Ekiyé » littéralement : « Je suis Celui Qui sera » – qui signifie que D.ieu se tiendra aux côtés du peuple juif dans cet exil, comme dans tous les autres exils. Mais en un second temps, D.ieu prescrit à Moché de n’annoncer aux enfants d’Israël que la première partie de ce Nom – « Ekiyé » – afin de ne pas les accabler prématurément par l’annonce des exils futurs. Or le Midrach fait remarquer que les deux parties du Nom furent bien révélées à Moché, afin qu’il puisse éprouver et partager les douleurs futures du peuple juif. Fin des explications du Chlah.

Dans l’ouvrage « ha’Hafets ‘Hayim – ‘hayav oupa’olo » (p.390), l’un de ses élèves, le rav Yachar, décrit l’attitude du maître pendant la Première Guerre mondiale : « En observant le comportement du ‘Hafets ‘Hayim pendant cette période, nous avons pleinement saisi la signification de l’adage : “Le Juste est le cœur du monde.“ Son visage, habituellement tendre comme celui d’un enfant, semblait avoir soudain vieilli, comme si chacune de ses rides portait tout le mal du monde. Toute son existence, chacune de ses paroles et chaque geste qu’il accomplissait étaient empreints de douleur, comme si tous les membres de son corps enduraient un mal insupportable. Son corps s’était changé en un grand cœur malade, qui ressentait la souffrance et les tourments de la communauté toute entière. (…) Ici des Juifs étaient expulsés de leur demeure, là on pendait, on tuait, on assassinait vieillards et enfants sans pitié, sans compassion ! Le cœur se déchire, le sang coule à flot…

Une nuit, la femme du maître se réveilla et s’aperçut soudain que le lit de son mari était vide. Aussitôt, elle partit à sa recherche pour finalement le découvrir allongé sur un banc, les mains sous la tête en guise de coussin. A son étonnement, son mari lui répondit : “Dehors, nos frères juifs rescapés errent d’un bout à l’autre du pays, souffrant du froid et de la faim. Nos fils couchent à même le sol. Et au front, dans les tranchées, la mort les encercle de toute part. Comment aurais-je le cœur de dormir paisiblement, dans un lit confortable ?“ »Dans l’ouvrage Marbitsé Tora ouMoussar (tome I p.117), l’auteur évoque l’épisode du terrible incendie qui ravagea une grande partie de la ville de Brisk où vivait rav ‘Hayim Soloveitchik : « Qui n’a pas vu son dévouement, son implication totale pour le bien des Juifs de Brisk après le terrible incendie de 1895, n’a certainement jamais compris la notion de miséricorde de sa vie. Rav ‘Hayim ne prenait aucun repos et ne s’accordait aucun répit. De jour comme de nuit, il consacrait toutes ses forces pour apporter aide et secours aux familles victimes de l’incendie.Pendant une longue période qui suivit ce désastre, rav ‘Hayim ne dormit pas chez lui : il avait élu domicile dans le couloir de la synagogue, qui était en outre légèrement en pente, et il y dormait à même le sol. Les nombreuses suppliques de ses proches pour qu’il s’accorde un peu de repos chez lui, à la maison, n’y changèrent rien : “Comment puis-je dormir dans mon lit, s’était-il exclamé, alors que tant de Juifs n’ont même pas où se loger ?“ »

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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