« Aharon tirera au sort pour les deux boucs : l’un sera pour l’Eternel, le second pour ‘Azazel » (Vayiqra 16,8)
Selon rav Chimchon Raphaël Hirsch (BéMa’agalé HaChana), le sort réservé à ces deux boucs renferme un message édifiant. Représentons-nous ces deux bêtes que l’on conduisait à Yom Kippour, dans l’enceinte du Temple. Elles étaient semblables en tout point, autant dans leur aspect, leur taille, que leur prix, et elles avaient toutes deux été achetées simultanément. Venait alors le Cohen Gadol : il effectuait un tirage au sort et retirait de l’urne deux papiers. Sur l’un était inscrit : « Pour l’Eternel » et sur l’autre : « Pour ‘Azazel ». Ces inscriptions déterminaient le sort de chacun des boucs, qui suivaient désormais une voie tout opposée.Le bouc consacré à D.ieu était offert en sacrifice sur le mizbéa’h. Après avoir été abattu rituellement, avec toute la pureté requise, son sang était recueilli puis introduit dans le Saint des saints, où il était aspergé face à l’Arche sainte. Le Cohen Gadol procédait ensuite à des aspersions sur la Parokhet, puis sur le mizbéa’h en or. Quant à la peau, la chair et les entrailles du bouc, elles étaient brûlées à l’extérieur du campement, dans un lieu saint.
Voyons à présent le sort qui attendait le bouc consacré à ‘Azazel. Pour sa part, il était « placé vivant devant l’Eternel ». Si cet animal avait été doté d’intelligence, il s’estimerait certainement chanceux d’avoir été épargné. En comparant son sort à celui de son congénère, il pourrait même ressentir une certaine fierté. Considérant l’autre bouc avec hauteur, il se serait dit : « Voyez combien je lui suis supérieur ! Certes, lui a été offert en sacrifice sur le mizbéa’h, mais il y a perdu la vie. Quant à moi, je suis toujours bien vivant ! » On conduisait ensuite ce second bouc dans une région montagneuse, aux environs de Jérusalem. Là encore, il se serait rempli d’orgueil en voyant les égards qui lui étaient offerts, puisqu’on le promenait dans la nature !Pour lui, le sommet de la gloire était atteint lorsqu’on le conduisait jusqu’à un rocher élevé. Tendant fièrement le cou, il pouvait observer le monde du haut de son piédestal, en jetant un dernier regard de pitié vers son congénère moins chanceux que lui.
Mais s’il avait su le motif exact de sa présence en ce lieu, ce bouc aurait assurément fait preuve de plus d’humilité. S’il avait pressenti que son monde était sur le point de s’écrouler, jamais de telles pensées ne lui auraient traversé l’esprit. Car de fait, dans les secondes qui suivaient, ses fantasmes et ses sentiments de gloire allaient s’écraser sauvagement sur les rochers de la falaise. Par une petite pichenette portée à son flanc, il était précipité dans le gouffre, et ses membres déchiquetés et dispersés comme de vulgaires fétus de paille s’écrasaient au fond de l’abîme. A ce moment-là, on découvrait lequel, de ces deux boucs, avait connu le sort le plus heureux.Ces descriptions illustrent de manière remarquable comment fonctionne notre libre arbitre. En venant au monde, chaque Juif voit s’ouvrir devant lui deux voies : l’une fidèle aux principes de la Tora, lui permettant de se rapprocher de D.ieu ; la seconde prônant une vie profane, remplie de tentations et de plaisirs matériels, à mille lieues des valeurs de la Tora. Certes, la première voie réclame certains sacrifices, car il faut parfois renoncer à ses désirs personnels pour se conformer aux exigences de la Loi divine. Mais ceux-ci en valent largement la peine, car cette voie conduit l’homme à un but suprême : résider dans le Sanctuaire du Créateur.
De fait, tous ceux qui suivent la voie de la Tora connaissent le bonheur, autant dans ce monde-ci que dans le Monde futur. A contrario, les hommes qui choisissent de rejeter tout joug, pour mieux se consacrer à leurs passions, ont le sentiment de vivre « librement ». Mais combien leur fin est-elle amère ! Durant leur existence, on peut parfois avoir l’impression que leur vie est effectivement plus agréable. Toutefois, au bout du compte, il n’y a généralement plus de place pour le doute : on réalise alors laquelle de ces deux voies était réellement celle du bonheur. A l’image du bouc jeté en haut d’un précipice, la réussite de ces hommes s’achève un jour aussi brutalement que soudainement.Le sort de deux boucs de Yom Kippour nous rappelle le combat continu que nous devons mener durant notre existence. Le mauvais penchant s’efforce par tous les moyens de nous entraîner sur le chemin suivi par le bouc consacré à ‘Azazel. Le bon penchant, quant à lui, nous incite à suivre la route menant vers les hauteurs et conduisant jusqu’au Créateur. Le message que nous devons retenir de ces deux parcours opposés est que la réussite des mécréants est éphémère – « ils croissent comme l’herbe… » – et en définitive « ils encourent une ruine irréparable » (d’après Téhilim 92). Les Justes en revanche « fleurissent comme le palmier ». Et bien que les fruits tardent parfois à venir, ils ont cependant la certitude qu’ils « fleuriront dans la vieillesse, ils seront pleins de sève et de verdeur ».
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.