« Le restant du Guil’ad et tout le Bachan, où régnait ‘Og, je le donnai à la demi-tribu de Ménaché » (Dévarim 3,13)
A la lecture de ces versets de la Tora, il semble que l’enchaînement des idées soit étrangement décousu. Au verset 12, il est question du territoire offert en héritage aux tribus de Réouven et de Gad : « La moitié du mont du Gil’ad avec ses villes, je la donnai aux tribus de Réouven et de Gad. » Du verset 13 jusqu’au 15, Moché cesse de parler de ces deux tribus et énonce pendant trois versets le détail de l’héritage de la demi-tribu de Ménaché, situé lui aussi à l’est du Jourdain. C’est seulement au verset 16 que la Tora revient sur son premier propos : « Et aux enfants de Réouven et de Gad, je donnai depuis le Gil’ad jusqu’aux torrents d’Arnon. » Que signifie cet apparent désordre ?Par ailleurs, un autre point soulève une question : pour quelle raison le lot qui échut à la demi-tribu de Ménaché était-il, proportionnellement, bien plus grand que ceux des deux autres tribus qui s’installèrent dans cette contrée ? Enfin, il convient de noter que Moché n’exprima à l’adresse de Ménaché aucune exigence concernant son installation dans la contrée de Gil’ad, contrairement aux tribus de Réouven et de Gad à qui il imposa des conditions strictes.
Le Nétsiv, qui relève ces différents problèmes dans le Ha’Emeq Davar, les résout à l’aide d’un enseignement des Avot DéRabbi Nathan (fin du chap.27) : « A l’époque, on disait que les céréales étaient abondantes dans la province de Yéhouda, la paille en Galilée et le son à l’est du Jourdain. » Cette maxime fait en vérité référence à la Tora, comme le suggère également ce Midrach : « “Une abondance de moisson“ – c’est une allusion au Talmud » (Béréchit Rabba sur Toldot). Il apparaît donc que le lieu d’Erets-Israël le moins prospère en matière de Tora – là où l’on trouvait le « son » – était la province du Gil’ad, où s’établirent les tribus de Réouven et de Gad.Pour pallier cette carence, Moché s’efforça donc d’y implanter des hommes érudits, vouant leur vie à la Tora et capables d’éclairer cette région de leur science. C’est pourquoi il se tourna vers la tribu de Ménaché et chercha à la convaincre de s’y installer également. En effet, de nombreux maîtres en Tora en sont issus, comme nous le voyons du verset : « De Makhir [fils de Ménaché] descendirent des législateurs » (Choftim 5,14). Dans le Talmud (Sanhédrin 5a), on peut également lire : « “Le sceptre n’échappera pas à Yéhouda, ni l’autorité à sa descendance“ (Béréchit 49,10) – “l’autorité“, ce sont les petits-enfants d’Hillel l’ancien, qui enseignaient la Tora au peuple. » Or, nous savons que la descendance de Makhir était également issue de la tribu de Yéhouda (cf. Yévamot 62b).
Pour persuader les enfants de Ménaché de s’établir dans cette contrée, Moché leur offrit une terre très vaste, proportionnellement à leur nombre. Nous apprenons ceci d’un passage du Talmud de Jérusalem, dans lequel on peut lire : « On n’amène pas les Bikourim [prémices] à partir des fruits ayant poussé à l’est du Jourdain, parce que cette contrée n’est pas considérée comme une terre où coulent le lait et le miel. [Autre explication :] Parce qu’il est dit : “Cette terre dont Tu m’as fait présent“ (Dévarim 26,10) – et non celle que j’ai pris de mon chef. Quel est le point de divergence entre ces explications ? Les fruits venant de la demi-tribu de Ménaché. D’après la seconde explication [cette tribu peut amener les Bikourim], car elle n’a pas pris cette terre de son propre chef » (Bikourim chap.1). Il apparaît donc explicitement que ce n’est pas Ménaché qui choisit de résider sur ce territoire, mais c’est au contraire Moché – visiblement sous l’ordre de D.ieu – qui l’y incita.Dès lors, l’ordre des versets de notre paracha prend tout son sens : durant son long réquisitoire contre les enfants d’Israël, Moché mentionna la décision des tribus de Réouven et de Gad de vivre à l’est du Jourdain. Au passage, il rappela que ce choix ne put être validé sans que la demi-tribu de Ménaché accepte également d’y vivre. C’est donc seulement après avoir mentionné leur approbation que Moché put poursuivre et conclure ce sujet.
Ces événements nous enseignent qu’en toutes circonstances, chacun de nous doit s’efforcer de vivre dans un lieu de Tora, car la pérennité du peuple juif en dépend ! Le Talmud précise d’ailleurs en ce sens : « De la même manière qu’il est interdit de sortir d’Erets-Israël pour se rendre en Babylonie, aussi est-il interdit de sortir de Babylonie pour se rendre dans tout autre pays. » Et ce, explique Rachi, « parce qu’il y a à Babylone des yéchivot dans lesquelles on étudie la Tora en permanence. » Et même en ce qui concerne le choix d’une sépulture, nos Sages enseignent qu’un endroit de Tora est considéré, semblablement à la terre d’Israël, comme un lieu de prédilection.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.