« Si tu rencontres en chemin un nid d’oiseau […] tu es tenu de laisser envoler la mère et alors, tu pourras t’emparer des petits » (Dévarim 22,6-7)
« Quiconque dit au sujet de [cette mitsva de] renvoyer la mère : “Ta miséricorde la prend en pitié“, on le fait taire. » (Michna Bérakhot 5,3)
Cette michna paraît fort surprenante, note rav ‘Hanokh Erentrau (Qomets Min’ha) : cette mitsva n’est-elle pas l’expression la plus parfaite de la miséricorde divine ? Est-il nécessaire de prouver que l’ordre de chasser la mère avant de s’emparer des oisillons est le reflet de la bienveillance de D.ieu à l’égard de toutes Ses créatures ? D’ailleurs, il est certain que dans tous les livres d’éthique des nations du monde, on ne peut trouver aucun précepte aussi noble que cette mitsva, qui tient compte des sentiments de la mère à la vue de ses petits capturés. Même les lois relatives à la protection de l’environnement ne visent, en règle générale, qu’à préserver les intérêts des hommes, afin qu’ils puissent profiter des bienfaits de la nature. La Tora, quant à elle, exige que nous tenions compte de la sensibilité de cette mère oiseau, bien que cela n’ait aucun impact sur notre confort actuel ou futur. Par conséquent, pourquoi fait-on taire celui qui dit au sujet de cette mitsva : « Ta miséricorde prend cet oiseau en pitié » ?
Nos Sages établissent une relation entre cette mitsva et celle du respect des parents : « Il est dit au sujet du respect des parents : “Afin que tes jours se prolongent et que tu vives heureux“ (Dévarim 5,16). Et il est dit au sujet du renvoi de la mère oiseau : “Tu seras heureux et tes jours se prolongeront“ (loc. cit. 22,7) » (‘Houlin 122a). Avec la mitsva du renvoi de la mère, nous apprenons à estimer la maternité à sa juste valeur. En effet, la Tora n’exige que l’on chasse la mère que pour certains types d’oiseaux particuliers, à savoir ceux qui couvent leurs œufs et protègent leurs oisillons. Ce que le Midrach confirme : « “Tu laisseras envoler la mère“ – Rabbi El’azar dit : La Tora n’avait pas besoin de promettre une telle récompense pour une mitsva si minime. C’est qu’en fait, le Saint béni soit-Il dit : “Si les hommes se soucient du respect et du maintien de Mon monde, ils mériteront une telle récompense“ » (Dévarim Rabba 6). C’est donc bien en vertu du respect de la nature que cette mitsva est gratifiée d’un salaire si important.
Une autre dimension découle de cette mitsva à travers quelques règles qui lui sont spécifiques. Nos Sages stipulent ainsi qu’elle ne s’applique qu’aux oiseaux vivant dans la nature, et non aux volatiles apprivoisés. Ils le déduisent de l’expression du verset : « Si tu rencontres en chemin… » – excluant l’oiseau vivant dans ta demeure. On apprend également que le devoir de chasser la mère se limite uniquement au moment où l’oiseau est présent sur le nid et protège ses petits. Mais dès l’instant où la mère a quitté le nid, il est permis de la capturer aussi bien elle que ses oisillons. Ceci offre un nouvel éclairage aux explications de Maïmonide concernant cette mitsva (cf. ses propos cités par le Ramban) : d’après lui, ce commandement vise à nous interdire d’utiliser notre supériorité sur les animaux, au moment où une bête ne peut fuir et se protéger à cause de son instinct maternel qui lui interdit d’abandonner ses petits. Il nous est donc permis de prendre les oisillons, car ceux-ci sont par nature dans une situation de faiblesse, mais non la mère, qui pourrait dans l’absolu se sauver et qui s’expose tout de même au danger pour protéger sa couvée. En conséquence, ce serait faire acte de cruauté que de profiter du sacrifice de la mère pour la capturer.
Par cette mitsva, la Tora cherche donc à nous inculquer une leçon capitale : si déjà par rapport à un animal dépourvu d’intelligence, qui n’agit que par instinct, nous devons faire preuve de compassion, à plus forte raison sommes-nous tenus de manifester de la considération envers nos semblables. En clair, n’exploitons jamais la faiblesse d’autrui, lorsqu’il est incapable de se protéger du fait de sa situation ! Voilà qui expliquera le sens de la michna citée plus haut : si la Tora nous impose cette mitsva, c’est pour que nous nous gardions de toute forme de cruauté, et que nous nous remplissions de bonté et de compassion envers notre prochain, comme le dit le Midrach : « Les mitsvot ne furent transmises aux hommes que pour améliorer leur nature » (Béréchit Rabba 44,1). Car si déjà nous devons prendre garde à ne pas nuire à un oiseau accomplissant son devoir maternel, à plus forte raison devons-nous respecter nos propres parents, qui furent créés à l’image de D.ieu. C’est la raison pour laquelle le respect de ces deux mitsvot est gratifié d’une même récompense : « Afin que tes jours se prolongent et que tu vives heureux. » En revanche, il est inconcevable d’affirmer que cette mitsva est une expression de miséricorde à l’égard de l’oiseau. Une telle démarche ne sied guère au Saint béni soit-Il, Qui ne manque pas de moyens pour protéger Ses créatures, sans avoir recours aux actions des hommes. C’est pourquoi on fait taire quiconque soutient, au sujet de cette mitsva, que la miséricorde divine prend l’oiseau en pitié. Ce n’est pas l’oiseau que D.ieu prend en pitié, mais les hommes, pour épurer leurs cœurs de toute cruauté et les gratifier de belles vertus morales.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.