« Tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre » (Dévarim 26,2)
« “Au commencement [béréchit], D.ieu créa“ – par le mérite des prémices qui sont appelées “réchit“, le monde fut créé. » (Béréchit Rabba 1,6)
Rabbi Moché Alcheikh cite une loi spécifique aux bikourim, stipulant que lorsque les agriculteurs étaient en route vers le Temple pour apporter leurs prémices, tous les ouvriers interrompaient leur besogne pendant leur passage en signe de respect. Or en règle générale, un ouvrier ne doit saluer personne pendant son travail, pour ne pas voler son employeur. Pourtant, dans le cas précis des bikourim, les Sages l’autorisèrent par égard pour cette importante mitsva. Qu’est-ce qui octroie aux bikourim une telle valeur ?D’après le Alcheikh, la réponse tient dans le fait que le devoir de gratitude constitue un fondement essentiel du service divin. Le Saint béni soit-Il gratifie l’homme d’innombrables bienfaits, lui accordant la vie, la subsistance, etc. Il en résulte que la qualité d’un homme s’apprécie selon sa faculté à reconnaître les bontés du Créateur. Une personne sensible à cette idée saura se considérer comme privilégiée. Consciente de sa dette, elle ne manquera jamais d’exprimer sa reconnaissance à D.ieu. Mais un individu fruste ne verra pas le bien dont il est l’objet, et ne se sentira nullement redevable envers son Créateur.
Rav Ya’aqov Neuman cite ces explications dans son Darké Moussar et les étaye avec un commentaire du Ramban, pour qui « le peuple insensé et peu sage », mentionné dans le chant de Haazinou, désigne les renégats. Rav Moché Rozenstein expliquait à ce sujet que si ces derniers sont considérés comme des personnes « insensées », c’est parce qu’ils ne manifestent aucune gratitude envers D.ieu pour Ses bienfaits. Ils sont à l’image d’un invité qui mangerait, boirait et jouirait de tous les biens de son hôte, mais refuserait de lui exprimer la moindre reconnaissance. Un tel homme est qualifié d’« insensé ». Et de l’ingratitude au reniement de D.ieu, la voie n’est pas bien longue, comme le disent nos Sages : « Quiconque nie les bienfaits de son prochain finira par nier les bienfaits du Créateur. » Cet homme grossier, dépourvu de tout sentiment de reconnaissance, n’admettra jamais que son bonheur lui vient de D.ieu.
C’est d’ailleurs ce souci de gratitude qui conduisit Moché, lors de la première plaie d’Egypte, à laisser son frère Aharon frapper le fleuve pour le changer en sang, car les eaux du Nil l’avait porté quand il était nourrisson. Or, si à l’égard d’une matière inanimée, il faut savoir faire preuve de reconnaissance, à plus forte raison envers un homme, et mille fois plus à l’égard de D.ieu ! C’est donc en vertu du message de reconnaissance que véhiculent les bikourim que nos Sages leur accordèrent une importance toute particulière au point d’autoriser les ouvriers à interrompre leur travail. Par ces quelques fruits, l’homme exprime sa gratitude à D.ieu pour avoir béni son champ, et reconnaît que tout ce qu’il possède vient de Lui. D’ailleurs, même celui qui ne récolterait qu’un seul grain de blé doit amener les bikourim, car le Créateur subvient absolument à tous nos besoins. A cet égard, le monde méritait bien d’être créé uniquement en vertu de cette précieuse mitsva.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.