Kol Nidré

Chaque année pendant les Jours Redoutables, les Juifs du monde entier se rassemblent dans les synagogues pour la prière de Kol Nidré, le cœur empli de crainte en cet instant si solennel. Dans cette prière, nous déclarons tous nos vœux et serments comme nuls et non avenus. De même, la veille de Roch Hachana, après la prière de Cha’harit, il est d’usage dans de nombreuses communautés d’annuler les vœux prononcés durant l’année passée devant trois juges compétents. Profitant de la sainteté des lieux, beaucoup se rendent au Kotel Hamaaravi pour cette cérémonie appelée Hatarat Nédarim. La tradition juive accorde un grand poids aux vœux. Celui qui prend sur lui un quelconque engagement est tenu de le respecter. Dans le cas contraire, il s’exposerait à de sévères punitions. Sous certaines conditions, il est possible de recourir au procédé de Hatarat Nédarim. Dans ce but, nos Sages ont institué une récitation publique à l’entrée de Yom Kippour : c’est la prière du Kol Nidré. Dans certains cas précis, on ne peut pas se suffire de la récitation publique de la veille de Roch Hachana ou de Yom Kippour. Il faut alors accomplir une Hatarat Nédarim particulière. Ainsi, tout au long de l’année, le Kotel Hamaaravi reçoit la visite de personnes désirant se défaire d’un vœu qu’ils ne peuvent plus respecter.

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Au cours de ma carrière comme responsable du Kotel, j’ai eu l’occasion d’entendre toutes sortes de vœux, des plus classiques aux plus étranges. Mais celui dont je voudrais vous parler restera gravé à tout jamais dans ma mémoire. En cette journée nuageuse, une pluie battante fouettait les pierres du Kotel et faisait trembler les vitres de notre petit bureau. Une tasse de thé chaud à la main, j’écoutais la tempête gronder quand soudain, une femme apparut à l’entrée, les vêtements trempés, et un parapluie dégoulinant à la main. « Monsieur, – fit-elle d’une voix inquiète – pouvez-vous me consacrer quelques minutes ? Je viens de loin, j’ai un problème que je dois absolument résoudre. Ma vie est devenue un enfer, tout cela à cause d’un vieux Rav qui a profité d’un instant de faiblesse de mon mari. » Elle s’assit, essuya les gouttes de pluie qui ruisselaient sur son visage et commença son histoire : « Mon mari et moi, nous sommes des gens droits et intègres. Tous deux, nous prenons soin de toujours accomplir ce que nous disons.

Si par hasard, nous promettons quelque chose à nos enfants, même si cela est difficile pour nous, nous nous efforçons de le faire. « Cette année a été extrêmement difficile pour mon mari. Il a été licencié de son travail et a subi un accident de voiture grave. Pour couronner le tout, son père qui était relativement jeune, est décédé subitement : il est tombé d’une échelle alors qu’il cherchait simplement à changer une ampoule dans sa cuisine. Vous pouvez imaginer sa peine et son chagrin durant l’enterrement. « Le rabbin de notre quartier était présent, et a assisté mon mari durant la récitation du kadich. A la fin de la cérémonie, il s’est approché de mon mari pour lui présenter ses condoléances, et au cours de leur entretien, il lui dit qu’il devait absolument s’engager à respecter le Chabbat à la mémoire de son père. Au début, mon mari refusa, mais le Rav insista et devant la tombe encore ouverte, il assura : “Si vous gardez le Chabbat, votre père aura droit au Monde Futur !” « Mon mari, encore sous le choc de la terrible nouvelle, n’avait pas encore retrouvé ses esprits. De plus, il était troublé par la grande foule venue accompagner le défunt à sa dernière demeure.

Ainsi, devant la tombe encore fraîche de son père, mon mari s’est engagé à respecter le Chabbat. Mais le Rav ne se contenta pas de cela : il insista pour que mon mari scelle sa décision par un vœu en bonne et due forme, et devant l’assemblée réunie, il déclara à vive voix : “Notre cher défunt a beaucoup de mérite, son fils aîné s’engage à respecter le Chabbat. Tendons l’oreille et écoutons le vœu courageux d’un enfant qui veut offrir à son père un mérite infini !” Mot après mot, mon mari répéta la promesse après le Rav, puis ce dernier bénit son initiative : Que Celui qui a béni nos pères, bénisse… par le mérite de la Reine du Chabbat… Et toutes les personnes qui s’étaient déplacées pour l’enterrement répondirent Amen.« Une fois les chiva terminés, nous avons tenté de noyer notre chagrin dans le train-train quotidien. Durant quelques semaines, en l’honneur du défunt, nous avons gardé le Chabbat comme il se doit. A la fin des trente jours, mes enfants et moi voulûmes retourner à nos habitudes et aux week-ends animés auxquels nous étions accoutumés. Mais mon mari refusa de se joindre à nous, à cause du vœu qu’il avait prononcé devant la tombe de son père. « Je ne discute pas ce principe et je suis totalement d’avis qu’un homme doit respecter ses promesses.

En revanche, ce qui me révolte, c’est la sournoiserie du rabbin qui a profité de cet instant de faiblesse pour enchaîner mon mari à un vœu qu’il n’a pas la force d’accomplir. A cause de cela, je suis contrainte chaque samedi de m’enfermer à la maison pour lui tenir compagnie. La situation est devenue intolérable ! Ce rabbin a détruit notre vie de famille ! Et lorsque je lui ai demandé s’il n’y avait pas moyen d’annuler le vœu, il m’a répondu que je devais attendre Yom Kippour pour cela !« Or il n’est pas question que je patiente jusqu’à Yom Kippour pour effacer cette promesse ! C’est la raison pour laquelle, je me suis déplacée, malgré la pluie, pour vous demander de trouver une solution à mon problème. Je vous en prie, faites en sorte que je puisse annuler ce vœu si ennuyeux ! »Je réfléchis longuement avant de répondre à cette femme qui n’avait pas la moindre notion de toutes les ramifications halakhiques d’un vœu. De plus, le problème était loin d’être simple. En effet, tout le Peuple juif a juré au mont Sinaï de respecter le Chabbat, et personne au monde ne peut annuler ce serment vieux de plus de deux mille ans. Ainsi, le vœu de cet homme n’a aucune implication pratique : il n’a fait qu’accepter une chose qu’il avait déjà juré d’accomplir. Mais d’un point de vue moral, il est certain que la promesse faite au cimetière, par cet homme éloigné de la tradition et du Chabbat, avait une valeur immense.

Pour preuve : même lui – concerné en premier lieu – n’était pas d’accord de revenir sur l’engagement qu’il avait pris devant la tombe de son père. Je ne savais que répondre à cette femme. Car qui suis-je pour me prononcer sur une question si complexe et prendre le risque d’entraîner un juif à profaner le Chabbat – ce bien sans prix, ce cadeau inestimable que nous a légué le Maître du monde ! « Vous avez soulevé un problème difficile et complexe, – lui dis-je finalement – je vais vous adresser à Rav Untel, ce juste et grand kabbaliste, connu du monde entier…» Et je lui donnai le nom, l’adresse et le numéro de téléphone dudit Rav, en lui demandant de me contacter une fois qu’elle l’aurait consulté. J’étais extrêmement curieux de connaître sa réponse. En effet, ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un cas semblable. De nos jours, il est rare de trouver des personnes qui respectent leurs paroles et accordent autant d’importance aux engagements qu’ils ont pris. Elle prit congé de moi, tandis que les fenêtres de mon bureau tremblaient sous l’effet de la pluie violente et du tonnerre qui déchirait les cieux. Les semaines et les mois passèrent, mais cette femme ne revint pas. Jusqu’à ce jour, je n’ai eu aucune nouvelle d’elle, ni personnellement, ni par téléphone, et je reste avec un point d’interrogation. Je me disais qu’elle devait être gênée de me recontacter, parce que le Rav avait dû – lui aussi – refuser d’annuler le vœu, ou qu’elle avait tout simplement oublié ma demande.

Certes, j’aurais pu m’adresser au Rav et lui demander ce qu’il en était, mais je m’en empêchais, ne voulant pas déranger un homme si grand dans le simple but de satisfaire ma curiosité. Mais un jour, ma curiosité fut apaisée d’une autre manière. Un baal téchouva vint me trouver et me raconta les obstacles qu’il avait dû surmonter dans les premières années de son retour aux sources : « Lorsque j’ai commencé à respecter la Torah et les mitzvot, je me suis heurté à une grande difficulté. Voyez-vous, j’étais un grand fumeur et j’avais un mal fou à passer tout le Chabbat sans allumer une cigarette. Tous les Rabbanim auxquels je m’adressai furent catégoriques : il était strictement interdit de fumer pendant ce saint jour. Un jour, on me parla de Rav …, (il cita le nom du Rav auquel j’avais adressé la femme) grand juste et célèbre kabbaliste, et je décidai de prendre rendez-vous avec lui, dans l’espoir qu’il me donnerait l’autorisation de fumer pendant Chabbat. « Lorsque je me suis assis devant lui, j’ai eu honte de mon problème, mais connaissant la difficulté que me causait cette interdiction, je pris mon courage à deux mains et lui posai ma question. J’évoquai également les multiples efforts que j’avais fournis quant au respect de la Torah et des mitzvot.

Le Rav ne se formalisa pas de ma question, et me félicita même pour le long chemin que j’avais parcouru. Il ajouta que la récompense qui m’attendait dans le monde futur était immense, car j’avais dû fournir beaucoup plus d’efforts qu’un juif né dans une famille respectueuse de la Tradition. Ensuite, il m’expliqua le danger de la cigarette sans mentionner du tout l’interdiction liée au Chabbat. Puis il me demanda s’il pouvait faire un accord avec moi. Très surpris, je répondis par l’affirmative. Il appela son chamach et lui dicta un texte. C’était un véritable contrat, dans lequel le Rav s’engageait à me donner chaque mois une belle somme d’argent si j’arrêtais de fumer. Ensuite, il me demanda de signer à la fin du document. « J’ai rougi. J’étais terriblement gêné de signer un tel contrat, dans lequel le Rav s’engageait pour une telle somme. En balbutiant, je lui expliquai que je ne voulais pas signer cette feuille, mais il insista : “Si vous n’êtes pas d’accord avec les clauses du contrat, je suis prêt à rajouter la somme que vous désirez !” « Je lui expliquai que ce n’était guère une question d’argent, mais que le respect que j’avais pour le Rav m’empêchait de l’obliger à me verser une telle somme. Le Rav s’est penché alors vers moi et m’a demandé : “Et si le contrat t’était proposé par quelqu’un d’autre, accepterais-tu ?” J’ai répondu par l’affirmative.

Alors, le Rav leva ses grands yeux brillants vers moi, sa barbe blanche immaculée lui donnant l’aspect d’un ange terrestre et me dit d’une voix douce : “Sache mon enfant, qu’au Ciel un contrat bien plus important attend tout celui qui respecte le Chabbat. Veux-tu recevoir ce trésor ? Alors, cesse de fumer pendant Chabbat !” « Bien entendu, j’ai accepté sa demande. Et jusqu’à ce jour je remercie ce Rav qui a su trouver les mots justes pour m’encourager à respecter le Chabbat. » En entendant cette histoire édifiante, j’entrevis ce que le Rav avait pu répondre à la femme à propos de sa réticence à observer le Chabbat. Certes, je ne sais pas quels mots exacts il employa, ni quel chemin il emprunta pour toucher le cœur de cette femme. Mais je suis certain que, tout comme il avait su convaincre le baal téchouva, il aura réussi à transmettre à cette femme l’importance du Chabbat. Jusqu’à aujourd’hui, je suis soulagé de ne pas avoir cherché à résoudre par moi-même son problème. Seul un homme d’une grande envergure, comme ce grand kabbaliste, possède les forces nécessaires pour attirer les brebis égarées vers leur Berger. Heureux soit le peuple qui possède de tels maîtres !

Cet extrait est issu du livre « le Kotel, mur de tous les miracles » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation.

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