Le premier collel d’Europe

Meir LAMBERSKI, Betsalel KARLINSKI, Itshak ROTH

A la fin de l’été 1941, une lettre arriva à Chesham, dans le Buckinghamshire, chez un rav d’âge moyen. Cet homme était un pur produit du célèbre Talmud Torah de Kelm. Durant les treize années précédentes, il avait fait office de rabbin dans une congrégation londonienne – fonction qui lui avait apporté bien peu de satisfactions…Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, le destinataire de cette fameuse lettre se trouvait totalement coupé des siens. Son épouse et leurs deux enfants, qui séjournaient alors en Lituanie, eurent néanmoins la chance inouïe d’échapper, à temps, à l’horreur nazie : la rabbanite et sa fille réussirent à fuir vers l’Australie. Quant à leur fils, il parvint à gagner les Etats-Unis.

Jweish Videos English

A cause des bombardements de Londres par la Luftwaffe, de nombreux Juifs quittèrent la capitale pour trouver refuge dans la campagne. Parmi eux se trouvaient les élèves les plus proches de ce rav, qui finit par les rejoindre. Il n’avait alors pas la moindre idée de ce que l’avenir lui réservait.Agé de 51 ans, il ne lui restait en vérité que douze années à vivre. Mais il avait eu le temps de formuler les idées qui feront de lui l’un des grands noms du monde de la Torah et l’un des penseurs juifs les plus célèbres. Il avait aussi eu le temps de rédiger quelques essais, qui deviendront célèbres plus tard.Sans cette lettre, jamais son œuvre publiée à titre posthume – qui rassemble les innombrables leçons et conférences données en Angleterre, puis en Erets Israël – n’aurait vu le jour, et sa lumière aurait été perdue à jamais. Sans cette lettre, personne ne se souviendrait aujourd’hui de ce rav reclus dans le Buckinghamshire, jamais le monde n’aurait connu ce maître dont l’influence s’était jusque-là limitée au cercle très restreint d’élèves londoniens auxquels il donnait des leçons particulières. Sans cette lettre, jamais le monde de la Torah ne se serait développé pour devenir ce qu’il est aujourd’hui…

Le destinataire de cette lettre s’appelait rav Eliahou Eliezer Dessler – l’auteur du non moins célèbre Mikhtav MeEliahou. L’expéditeur, le rav David Dryan, faisait fonction de cho’het dans une pauvre ville ouvrière du nord de l’Angleterre, nommée Gateshead. Dix ans plus tôt, le rav Dryan avait déjà fondé une yechiva dans cette même agglomération. Il nourrissait à présent le projet d’y ouvrir un collel pour jeunes érudits talentueux. Dans sa lettre – qu’il adressa à vingt et un rabbins – il cherchait un partenaire pour réaliser ce rêve.Parmi les destinataires, dix-huit ne se donnèrent même pas la peine de répondre. Ils considéraient peut-être le projet du rav Dryan trop fantasque pour mériter ne serait-ce qu’une explication de leur part. Trois seulement répondirent : l’un que l’époque ne se prêtait pas à ce genre d’initiatives, le second invoqua des circonstances personnelles qui ne lui permettaient pas de s’associer au projet du cho’het intrépide. Seul rav Dessler y répondit favorablement.Cette idée l’intéressait et il accepta aussitôt de se rallier à la cause de rav David. Il l’ignorait à l’époque, mais son adhésion allait le propulser sur les devants de la scène publique : il deviendra ainsi l’un des piliers du monde de la Torah dans les années d’après-guerre, tant en Europe occidentale qu’en Terre Sainte.

En quelques mois, le collel de Gateshead fut créé, avec le rav Eliahou Eliezer Dessler à sa tête. Dès lors, le judaïsme britannique et, au-delà, les communautés juives européennes allaient subir une véritable métamorphose. Ce qu’accomplit le rav Aharon Kotler aux Etats-Unis, rav Dessler le réalisera en Europe. Il sera à l’origine d’une véritable révolution, introduisant dans les mentalités des Juifs occidentaux l’idéal de l’étude lichma – l’étude pour elle-même des textes saints.Rav Aharon Kotler (à la tribune), à ses côtés, rav Ye’hezkel Avramski, lors de la quatrième assemblée de l’Agoudat Israël, au mois de Sivan/juin 1954 Outre le fait d’être l’un des plus grands penseurs de notre génération, rav Dessler fut également un homme de terrain, un des plus grands bâtisseurs de notre temps. On prétend souvent que la tsidkout – les vertus, la sainteté – du grand ‘Hafets ‘Haïm portait ombrage à son érudition exceptionnelle. Il en fut de même pour rav Dessler, dont la pensée puissante tend à nous faire oublier ce qu’il accomplit en faveur de la reconstruction du monde de la Torah dans les années d’après-guerre. Le collel de Gateshead deviendra l’un des centres d’étude les plus éminents en Europe, et formera la plupart des talmidé ‘hakhamim du vieux continent. Rav Dessler portera l’institution à bout de bras. Certes, il en fut le guide spirituel, mais il assura aussi – et à lui seul – la collecte des fonds nécessaires à la vie de cette institution, parcourant des centaines de kilomètres toutes les semaines pour venir à bout de cette lourde charge. Après le collel, Rabbénou participera également à la fondation du séminaire de Gateshead, qui accueillera des milliers de jeunes filles.

Après avoir travaillé d’arrache-pied en Angleterre pour ressusciter l’étude désintéressée de la Torah, rav Dessler s’installe à Bné Brak, où il engage une nouvelle révolution. C’est à partir de la yechivat Poniewicz, dont il deviendra le machguia’h, qu’il donnera une nouvelle impulsion au monde des yechivot d’Erets Israël. Pour preuve, à son arrivée en Terre Sainte en 1949, le nombre d’élèves étudiant dans une yechiva ne dépassait pas les quelques centaines. Aujourd’hui, ils se comptent par dizaines de milliers…Après la Shoah et la destruction des sanctuaires de Torah en Europe, le monde juif offrait une image de vide et de désolation. Ceux qui pratiquaient encore la religion étaient peu nombreux, et plus rares encore ceux qui adhéraient à l’esprit des yechivot. A l’époque, multiples furent les affronts et les épreuves que subirent les milieux de Torah, sous la pression des cercles laïques et fiers dirigeant l’Etat hébreu naissant. Par ses mots, Rabbénou sut redonner à ceux qui vouaient leur existence à l’étude le sentiment de leur dignité, une image de soi positive et respectable. Directeur spirituel de l’une des yechivot les plus prestigieuses du pays, ses idées dépassèrent rapidement le cadre restreint de Poniewicz pour gagner les cœurs de tous ceux qui, en Israël, étaient épris de spiritualité. Il sut, par ce biais, élever les aspirations de toute une génération. Aussi, ses élèves de Poniewicz – nés en Israël de parents ashkénazes pour leur grande majorité – constituèrent la première génération de rabbanim des yechivot que nous connaissons actuellement, et formeront le noyau à partir duquel le monde de la Torah se développera plus considérablement en Terre Sainte.

Cet extrait est issu du livre « Rav Dessler : sa vie, son œuvre » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation.

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Related Articles

Back to top button