Chemot . Une ouverture comme le chas d’une aiguille

« Moché dit : “Je vais m’approcher pour voir ce grand prodige“ » (Chémot 3,3)

« Rabbi Yo’hanan dit : Moché s’approcha de trois pas. Rech Laqich dit : Il ne s’avança pas, il ne fit que tendre le cou. Le Saint béni soit-Il dit alors : “Tu as peiné pour venir voir, Je jure de Me révéler à toi.“ Il est dit aussitôt : “D.ieu l’appela du sein du buisson en disant : Moché ! Moché !“ » (Midrach Tan’houma)

Comment comprendre que ces quelques pas franchis par Moché – voire même le cou qu’il tendit simplement – aient pu susciter une récompense aussi disproportionnée que la révélation de D.ieu et sa nomination en tant que sauveur du peuple juif ?
La réponse est rapportée par le rav Eliyahou Eli’ézer Dessler au nom du Saba de Kelm (Mikhtav méEliyahou tome IV p.276) : en cherchant à comprendre « pourquoi le buisson ne se consume pas », Moché fit effectivement preuve d’une disposition qui lui valut de formidables mérites ! Car ce faisant, il réalisa le « premier pas », c'est-à-dire ce point d’ouverture qui constitue très exactement le devoir de l’homme. C’est à ce sujet que nos Sages énoncent le célèbre adage : « Pratiquez pour Moi une ouverture de la taille du chas d’une aiguille, et Je vous ouvrirai des portes par lesquelles des charrettes et des calèches pourront passer » (Midrach Chir haChirim chap.5). Car c’est un fait : D.ieu attend des hommes uniquement le premier pas ! Et par cette seule impulsion, d’infinis trésors leur sont ensuite offerts et Il leur garantit que tous leurs souhaits seront exaucés !

Ce grand principe, cité ici par rav Dessler, se retrouve en fait en diverses occurrences dans cette même paracha. Par exemple, lorsque Moché jette son bâton au sol, il se change aussitôt en serpent. Et dès qu’il le saisit par la queue, le bois retrouve son aspect d’origine. Ce miracle n’aurait-il pas pu avoir lieu sans que Moché n’ait besoin d’attraper la queue du serpent ? Ceci aussi nous enseigne que c’est bien l’intervention de Moché qui permit au bâton de retrouver sa forme originelle, sans quoi jamais ce prodige n’aurait pu se produire. Aussi minime soit l’intervention humaine, c’est elle seule qui permet au miracle de se réaliser.
La troisième occurrence de ce principe apparaît chronologiquement avant les deux premières. Batia, la fille de Pharaon, descend vers le fleuve. Soudain, elle aperçoit un berceau – celui dans lequel se trouve Moché – à une distance de « plusieurs coudées ». Or son bras ne mesure évidemment pas plus d’une coudée… Dans ce cas, il ne sert visiblement à rien qu’elle le tende en direction de l’enfant. Pourtant, « elle envoya son bras et l’attrapa » – ce qui suggère, selon Rachi, que son bras « s’est allongé de plusieurs coudées ».

Les efforts de la fille de Pharaon furent eux aussi couronnés de succès : d’une manière totalement irrationnelle, son bras prit des dimensions disproportionnées. Sachant que la vie d’un enfant était en jeu, elle mit en œuvre tous ses moyens – bien qu’insuffisants – pour tenter de le sauver. Et parce qu’elle accomplit le devoir qui lui incombait, ses efforts prirent une tournure inespérée, et sa main s’allongea de plusieurs mètres.Une idée maîtresse lie donc ces trois anecdotes : « Faites-Moi une ouverture de la taille du chas d’une aiguille… » Parfois, l’homme réalise son devoir presque par inadvertance, comme le fit Moché lorsqu’il s’approcha du buisson ardent ; d’autres fois, ce premier pas est suscité par un ordre divin, comme lorsqu’il dut saisir la queue du serpent ; enfin dans d’autres circonstances, un désir spontané d’accomplir le bien peut inciter l’homme à faire des gestes désespérés. Mais en tout état de cause, chacune de ces démarches ouvre des portes qui permettent aux hommes de réaliser leur mission, dut-ce être de manière totalement surnaturelle.

Le Or Yahel propose une très belle parabole pour illustrer cette idée : « Un homme dépérissant, privé d’aliments et de boissons depuis déjà plusieurs jours, erre désespérément à la recherche de nourriture. Ses forces le quittent peu à peu : il sait que ses heures sont comptées. Soudain, il voit apparaître sur la route une demeure spacieuse. Jetant un coup d’œil par la fenêtre, il aperçoit à l’intérieur une table somptueusement dressée, sur laquelle sont déposées de délicieuses boissons et de grandes quantités de mets plus raffinés les uns que les autres. A leur vue, sa faim s’accroît davantage et saisissant un trousseau de clés suspendu là, il se précipite sur la porte pour tenter de l’ouvrir. Le malheureux insère l’une après l’autre les clés dans la serrure, mais à son grand désarroi, aucune d’elles n’actionne le pêne !

Une seule solution s’offre à lui : ôter une dent à l’une de ces clés, pour la faire correspondre à la serrure. Voilà qu’à présent sa vie ne tient qu’à cette petite dent ! La lime la plus ordinaire pourrait faire l’affaire : en seulement quelques frottements, la porte s’ouvrirait enfin et il pourrait manger à sa faim, recouvrer ses forces et être épargné d’une fin atroce. Mais le malheur du pauvre homme tient à ce qu’il ne possède pas cette lime ! Le voilà donc condamné à périr sur le seuil de cette somptueuse demeure par la faute d’une vulgaire dent de clé… »Cependant, notre situation diffère de cette parabole sur un point : nous possédons cette lime ! Au prix de quelques efforts seulement, nous pouvons être en mesure de provoquer l’ouverture d’immenses portes, comme l’annonce l’adage : « Celui qui souhaite se purifier, on lui vient en aide ! »

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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