« Tu institueras pour toi des juges et des policiers dans toutes tes portes » (Dévarim 16,18)
« Il a été enseigné : D’où savons-nous qu’il incombe au peuple juif de nommer des juges ? Du verset qui dit : “Tu institueras des juges.“ Et d’où savons-nous qu’il faut nommer des policiers ? Du verset qui dit : “Tu institueras des policiers.“ » (Sanhédrin 16b)
De nombreux commentateurs s’interrogent : quel enseignement supplémentaire nos Sages apportent-ils par ce texte du Talmud, dont les conclusions figurent pourtant explicitement dans la Tora ? Selon rav Ya’aqov Neuman (Darké Moussar), une leçon éminemment importante s’en dégage : même les préceptes que le bon sens nous dicte – comme l’instauration d’un système juridique, sans lequel aucune société ne saurait subsister – doivent être mis en place uniquement parce que la Tora nous l’ordonne. Les juges ne sont pas nommés par égard pour le sens commun, mais en vertu de l’ordre explicite de la Tora !Dès lors, ce commentaire talmudique prend tout son sens : « D’où savons-nous qu’il nous incombe de nommer des juges ? Du verset : “Tu institueras des juges“ » – et uniquement en vertu de ce verset ! Nos Sages disent dans le même ordre d’idées : « Ne dis pas : “Je n’aime pas la viande de porc“, mais plutôt : “J’aimerais manger du porc, mais le Saint béni soit-Il m’a ordonné de ne pas le faire !“ »
Dans son commentaire sur la section de ‘Houqat, le Or Ha’Hayim écrit les mots suivants : « Le verset, en disant : “Voici le décret de la Loi… “, indique par allusion […] que si l’on accomplit cette mitsva [celle de la vache rousse], bien qu’elle relève d’un décret divin et qu’elle soit dénuée d’explication logique, la Tora considère que c’est comme si l’on accomplissait toute la Loi que l’Eternel a ordonnée. Car le respect d’un commandement sans en comprendre le sens est une preuve d’émouna et confirme notre soumission à accomplir tous les ordres divins. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle D.ieu voulut que cette mitsva soit transmise sous forme de décret… » Tout homme doit prendre conscience du fait que les membres de son corps, ses cinq sens et ses pensées sont entièrement soumis au Créateur. Comme l’énonce le ‘Hovot HaLévavot : « Que l’homme ne serve D.ieu que pour Lui plaire, qu’il ne se réjouisse que de Son service, qu’il n’aspire qu’à exécuter Sa volonté, qu’il ne coure que pour réaliser Sa mission […] et ainsi de suite dans toutes ses démarches : que l’homme ne fasse jamais le moindre pas et qu’il ne cille jamais que pour satisfaire la volonté de son Créateur » (Portique ‘Avodat HaEloqim chap.5).
Rav Yossef Chlomo Kahaneman, le rav de Ponioviezh, raconta qu’un jour rav El’hanan Wasserman, présentant quelques commentaires à rav ‘Hayim Soloveitchik, demanda soudain : « Pourquoi la Tora dit-elle ceci ? » Rav ‘Hayim l’interrompit aussitôt : « Le pourquoi des choses ne nous concerne pas ! Nous ne devons nous interroger que sur le quoi : que dit la Tora ? » En tant que serviteurs entièrement soumis au Créateur, nous devons être prêts à accomplir toute volonté émanant de Lui. Et même ce que le bon sens recommande, nous ne devons le faire qu’en vertu de l’ordre de la Tora ! De fait, nul ne saurait s’en remettre uniquement à sa propre compréhension. Le Saba de Kelm rapportait à ce sujet un passage talmudique, dans lequel on apprend qu’un « vieil élève » était capable, à l’aide de cent cinquante raisonnements, de déclarer purs tous les reptiles que la Tora considère comme impurs. Le maître de Kelm démontrait ainsi que même lorsque la logique humaine semble prouver une chose de manière éclatante, si la Tora dicte l’inverse, c’est la preuve que toutes nos démonstrations sont fausses ! Il apparaît donc que même le plus grand des sages ne saurait se fier à sa seule intelligence, la vérité ne pouvant être découverte qu’à travers les enseignements de la Tora.
De nos jours, il arrive malheureusement souvent que des hommes « éclairés », dotés d’une « grande intelligence » et sachant « comprendre les choses », se manifestent et imposent leurs décisions à la communauté selon ce que leur raison leur dicte, bien que leur opinion soit contraire à celle de la Tora. Parfois, même quand leurs décisions sont, de manière évidente, erronées et peuvent avoir des conséquences dramatiques, ces personnes s’en tiennent pourtant à leur point de vue, sans jamais douter d’elles-mêmes. Ces aberrations sont le résultat d’une doctrine prônant la suprématie de l’intellect humain, alors que celui-ci est la proie du mauvais penchant qui s’efforce sans cesse de le dominer pour le tromper. Il nous incombe donc de purifier et de raffiner notre intellect, en le soumettant sans compromis à notre sainte Tora. C’est seulement ainsi que nous pourrons nous élever dans le chemin de la vertu et nous rapprocher du Créateur.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.