« Avraham vint pour faire l’éloge funèbre de Sara et pour la pleurer » (Béréchit 23,2)
Dans les parchemins de la Tora, la lettre kaf du mot « vélivkota » – pour la pleurer – est plus petite que les autres caractères : « ולבכתה », ce qui ne manqua pas de susciter l’intérêt des commentateurs. Il convient en outre de comprendre pourquoi le verset fait mention de l’éloge funèbre avant les pleurs, puisque généralement, c’est l’inverse qui se produit…L’auteur du Qéhilot Its’haq résout ces questions à la lumière d’un enseignement des Pirqé déRabbi Eli’ézer : « Après l’épisode du sacrifice d’Its’haq, le Satan alla chez Sara et lui dit : “Sara, as-tu appris ce qui s’est passé ?“ ; elle lui répondit : “Non“. Il reprit : “Ton vieux mari a pris le jeune Its’haq et l’a sacrifié en holocauste. L’enfant a sangloté et geint parce qu’il ne pouvait s’enfuir“. Aussitôt, Sarah se mit à pleurer et à gémir : elle versa trois pleurs à l’instar des trois sonneries longues du chofar, et eut trois gémissements à l’instar des trois sonneries saccadées du chofar, puis son âme la quitta et elle décéda. » C’est en ce sens que le verset précise qu’« Avraham vint pour faire son éloge funèbre » : « D’où venait-il ? Du mont Moria. »
Cet extrait des Pirqé deRabbi Eli’ézer mérite quelques éclaircissements. Le Satan n’est qu’un envoyé de D.ieu. Par conséquent, sa vocation véritable n’est pas tant de voir l’homme lui obéir. Au contraire, l’ultime fonction du mauvais penchant est de pousser l’homme à le combatte et à résister à ses assauts. C’est en ce sens qu’il s’échine à nous faire trébucher et c’est là sa seule raison d’être (comme l’explique le Zohar parachat Térouma p. 163, dans la parabole du roi et de la courtisane). Par conséquent, quelles sont donc les intentions du Satan lorsqu’il tient à Sara ces propos, après l’épisode du sacrifice d’Its’haq ? Il est en effet peu probable que cet ange ait voulu se venger d’Avraham, comme ce texte pourrait le laisser entendre, dans la mesure où son objectif était justement d’amener Avraham à vaincre ses avances. Pourquoi s’en prit-il donc ainsi à Sara ?Nous savons que toute mitsva mérite une récompense et qu’inversement, toute mauvaise action conduit à un châtiment. En règle générale, on ne retire pas la récompense d’une personne à cause des fautes qu’elle a commises : au contraire, l’homme reçoit son salaire de manière distincte, indépendamment des punitions qu’il encourt. Il existe cependant une exception à cette règle : lorsqu’un homme « regrette ses premières actions ». Dans ce cas, le Saint béni soit-Il lui retire la récompense de ses bonnes actions, comme le suggère cette prophétie de Yé’hezqel : « La vertu du juste ne le préservera pas au jour de son péché » (33,12) ; nos Sages expliquent en effet que ce verset fait référence au Juste qui, dans ses vieux jours, regretterait les mitsvot accomplies durant toute sa vie (Kiddouchin 40b).
Cette particularité s’explique comme suit : il est clairement établi qu’un repentir sincère et les remords plus particulièrement ont le pouvoir d’effacer toutes les fautes commises. Par voie de conséquence, si l’homme regrette une bonne action, celle-ci lui sera également retirée. De ce fait, on peut affirmer que si le respect d’une mitsva induit des pertes financières ou toutes sortes de tourments, il s’agit de toute évidence d’une nouvelle épreuve : lorsque le mauvais penchant réalise qu’il n’a pas pu empêcher l’homme d’accomplir une mitsva, il s’évertue ensuite à la lui faire regretter, afin de lui arracher sa récompense.Il s’avère donc que dans l’accomplissement des mitsvot de la Tora, il existe deux niveaux d’épreuves : d’abord, le Satan cherche à empêcher l’homme d’accomplir une bonne action, avant l’exécution même de l’acte ; puis, l’homme peut également être éprouvé après l’accomplissement de la mitsva. A ce stade, le Satan cherche à éveiller en l’homme des regrets qui, rétroactivement, annuleraient sa récompense.
Lors du sacrifice d’Its’haq, nous retrouvons ces deux formes d’épreuves : avant qu’ils n’atteignent le mont Moria, le Satan remua ciel et terre afin de convaincre le père et le fils de rebrousser chemin, et les empêcher d’accomplir le sacrifice. Mais devant son échec, le Satan s’attacha à harceler Avraham de remords. C’est la raison pour laquelle il s’en prit à Sara, convaincu qu’avec le décès de son épouse, notre patriarche en viendrait fatalement à regretter son geste. Avraham cependant, habitué aux agissements du mauvais penchant, surmonta également cette épreuve ultime et pour ce faire, il se concentra essentiellement sur l’éloge funèbre de Sara afin de limiter ses pleurs. S’il avait versé trop de larmes, on aurait pu croire qu’il était pris de remords en raison du décès de sa femme. Pour écarter le moindre doute, il se retint donc de pleurer abondamment ; ce que la Tora suggère par allusion en écrivant le mot pleurer avec une lettre plus petite (cf. Ba’al haTourim).Ceci explique également la chronologie a priori incohérente du verset – « pour faire l’éloge funèbre et pour la pleurer » – témoignant qu’Avraham se focalisa essentiellement sur les éloges de Sara, bien davantage que sur les pleurs.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.