Madame Cornfeld n’est pas une femme religieuse, et, pour être plus précis, vous ne pouvez pas trouver de femme plus anti religieux qu’elle. Elle ne les supporte pas, quels qu’ils soient et quelle que soit leur tendance : avec le shtreimel ou sans, avec un kittel ou sans, avec une cravate ou pas et même les kippot srougot avec des habits colorés suscitaient en elle une forte aversion.
Elle n’est plus tellement jeune madame ‘Hava Cornfeld, et son occupation professionnelle depuis plus de 30 ans, est de diagnostiquer les problèmes des enfants en échec scolaire, elle est d’ailleurs parvenue au sommet dans son domaine. Son nom s’est répandu de Dan à Eilat, car elle est très attentive, dotée d’un cœur compréhensif et d’une bouche d’où émanent des conseils semblables à des pierres précieuses. Elle aide tous ceux qui se trouvent confrontés à ce genre de problèmes, et même à d’autres. Le livre qu’elle a écrit : « Les Enfants dotés d’un autre don » est devenu un best seller même dans le monde religieux, qui sut trier et tamiser la paille et le foin pour n’en extraire que la fleur de farine c’est-à-dire, en d’autres termes : « Mange l’intérieur et jette l’écorce ». Il faut dire la vérité, des milliers d’enfants lui doivent la vie ainsi que leur bon fonctionnement intellectuel et émotionnel.
C’était un Chabbat matin d’été, la chaleur lourde ne s’était pas encore emparée des hommes à cette heure matinale et madame Cornfeld s’était levée tôt comme d’habitude pour sa marche quotidienne. Dans sa tête défilaient d’heureuses pensées, ses deux filles s’étaient en effet mariées l’année passée et très prochainement, elle et son mari recevraient leur « diplôme » de grand-père et grand-mère.
Madame Cornfeld descendit les escaliers vers le jardin public et commença sa marche. Le proverbe « Un esprit sain dans un corps sain » était un principe fondamental dans sa vie, bien qu’il provienne des cultures étrangères, enfin bon !
Il était 8 heures du matin, les hommes enveloppés de Talith entraient dans les synagogues mais cela ne l’intéressait pas du tout. Elle ne dirigeait jamais son regard vers ce type d’hommes car pour elle ils symbolisaient l’exil, le malheur, les temps primitifs, les arriérés ou retardés, et quoi d’autre encore ?
Elle se dirigea à droite vers le centre commercial et voilà que devant elle… pas moins et pas plus… se trouvait le Docteur Avigdor Né’hoshtan.
– Bonjour Docteur.
–Chabbat Chalom madame Cornfeld. »
Docteur Né’hoshtan avait lui aussi un pas rapide mais juste avant qu’il ne pénètre dans la cour de la synagogue du quartier elle vit une kippa blanche sur son crâne…
– Je ne savais pas que vous étiez religieux, lui dit-elle étonnée.
– Je ne suis pas religieux, répondit-il.
-Alors où allez-vous avec votre petite kippalé sur la tête ?
-A la synagogue, répondit le docteur, ce n’est pas un secret, un Juif qui va à la synagogue doit mettre une kippa, je ne l’ai pas inventé.
-Alors vous êtes vraiment religieux, s’entêta la madame.
-Non madame, je suis juste un simple Juif, un simple Juif. Chabbat Chalom. »
A partir de ce moment, les pas de madame Cornfeld devinrent lourds. 20 ans qu’elle connaissait son docteur de famille dévoué, Avigdor Né’hoshtan, et de sa vie elle n’aurait jamais pensé qu’il se rende dans une synagogue, elle n’avait jamais perçu en lui une once de Judaïsme, pas le plus petit brin.
« Je suis juste un simple Juif, un simple Juif. »
« Maître du monde, se remit-elle soudain en question pendant qu’elle se reposait dans le jardin public, d’où est-ce que je connais cette phrase et pourquoi ne me laisse-t-elle pas en paix ? »
« Juste un simple Juif. »
‘Hava était née de parents rescapés de la Shoa et à la maison, ils n’avaient jamais parlé de leurs traumatismes. Un silence tendu avait toujours régné dans l’air. Angoissant. Son père était un homme réservé et renfermé, à peine s’il sortait quelques mots ou phrases sèches par jour. Un homme endurci, sérieux, travaillant dans une industrie et gagnant son pain dignement. Elle était fille unique, sa mère était une femme au bon cœur qui décéda soudain lorsqu’elle était lycéenne, et juste après cela son père fut atteint de la terrible maladie d’Alzheimer.
Une jeune fille orpheline dès l’âge de 16 ans, sans une mère pour l’épauler, avec un père encore jeune vivant non loin mais perdant ses restes de mémoire, s’asseyant et divaguant des heures sans mot dire. Il essuyait juste une larme de temps en temps. Il traîna cette maladie durant 3 ans et la dernière année, il plongea dans les profondeurs de ses souvenirs et en sortit un évènement qu’il répétait plusieurs fois dans la semaine.
« Je voulais mourir je n’en pouvais plus, battu et blessé dans mon corps, affamé, pesant à peine 30 kilos. Je n’ai pas de parents, je n’ai pas de frère, je n’ai pas où revenir, Oh Elokim aie pitié de moi ! Et de nulle part, surgit ce soldat nazi de deux mètres de haut qui brandit un pistolet.
-« Sale Juif ! » rugit-il comme un lion, et il colla son arme contre ma tempe.
-Qui es-tu ? me cria le nazi…
-Je suis juste un simple Juif, je lui répondis, un simple Juif.
Et alors le nazi rangea son pistolet dans son étui et partit.
Oui, le père de ’Hava Cornfeld répéta cette histoire des dizaines ou des centaines de fois, jusqu’à sa mort avec sur ses lèvres ces mots : « Je suis juste un simple juif ». Elle était alors une jeune fille et avait écouté sans vraiment enregistrer.
Cela faisait à présent 30 ans que cette expression familière attendait quelque part dans son inconscient : « Je suis juste un simple Juif », et elle revit l’expression de souffrance sur le visage de son père, une larme au coin de l’œil et ce souvenir agit enfin sur elle, comme l’effet d’un coup de fouet.
« Et moi je suis Juive ! » se dit-elle assise sur le banc, je suis une simple Juive ? Ou bien n’ai-je aucune identité ? Y a-t-il un sens à tout cela ? Et ces questions pénétrèrent jusqu’aux profondeurs de son cœur.
‘Hava Cornfeld et son mari sont partis quelque temps après ce sursaut identitaire chercher des réponses à leurs questions dans un séminaire de Judaïsme.
Six mois plus tard, près du jardin public, elle rencontra de nouveau Chabbat matin docteur Né’hoshtan. Il se dirigeait vers la synagogue avec sa kippa blanche et elle allait rendre visite à son nouveau petit-fils, il avala presque sa langue en la voyant et la reconnut à peine, madame Cornfeld était habillée avec beaucoup de tsniout(pudeur) et un kissouï rosh (chapeau) sur la tête.
-« Chabbat Chalom docteur, je suis juste une simple Juive. »
Réveil :
« Quand un éveil se produit chez un homme dans le domaine de l’esprit et du service Divin, Il doit tout de suite le saisir car le Yétser hara refroidit son enthousiasme et fait en sorte de les séparer.
Le ‘Hida
Extrait tiré du livre Le Journaliste – Koby Lévy – Editions Véhaarev
Avec la permission de l'editeur Rav Eliahou Hassan