Juger favorablement – jusqu’à quel point ?

« Juge ton semblable équitablement » (Vayiqra 19,15)

« C’est-à-dire juge ton prochain de manière favorable. » (Rachi)

L’auteur du Ktav Sofer, fils de l’illustre ‘Hatam Sofer et rav de la ville de Presbourg, obtint du gouvernement hongrois, après maintes démarches, la scission entre la communauté juive orthodoxe et la communauté juive officielle, qui était alors sous l’influence des mouvements réformés. En obtenant cette reconnaissance officielle, il entendait mettre sur pied des institutions religieuses strictement fidèles aux prescriptions du Choul’han ‘Aroukh, et exemptes des révisions opérées par les réformés. Lorsque ces démarches aboutirent enfin, nul n’ignorait que leur réussite était le résultat d’un travail entamé par son père, le ‘Hatam Sofer, qui s’était efforcé de réunir tous les Juifs orthodoxes de Hongrie sous l’étendard de la Tora. Pour célébrer l’événement, le Ktav Sofer organisa une grande soirée de réjouissances, à laquelle se joignirent tous les sages, maîtres et érudits de Hongrie.

Il va sans dire que lors de cette réception exceptionnelle, l’atmosphère se remplit rapidement de paroles de Tora. Alors que la fête battait son plein, le Ktav Sofer monta sur l’estrade et prit la parole. Le silence se fit complet dans la salle, et on entendit le rav prononcer les mots suivants :« Moraï VéRabotaï, mes chers amis, en l’honneur de cette prestigieuse réception, j’aimerais vous montrer un objet d’une immense valeur, que j’ai hérité de mon propre père, le ‘Hatam Sofer. Lui-même l’a reçu de son père, et nous nous le transmettons dans notre famille de père en fils, depuis l’époque du Temple.Bien que cet objet n’ait en soi que peu de valeur, nous le tenons comme un inestimable trésor. L’objet dont je vous parle est un Chéqel HaQodech, une pièce d’un sicle que l’on utilisait à l’époque du Temple. A ma connaissance, conclut le Ktav Sofer, cette pièce est unique en son genre, personne d’autre n’en possède de semblable dans le monde juif. En cette soirée exceptionnelle, j’ai voulu présenter cette pièce à l’assistance afin que chacun puisse l’admirer. »

De fait, le Chéqel HaQodech suscita le plus grand intérêt auprès des convives. Après l’avoir observé avec le plus grand soin, chacun passa la précieuse pièce à son voisin de table. Pendant une bonne heure, elle fit le tour de l’assemblée, passant de main en main.Soudain, une voix s’exclama : « Où est le Chéqel HaQodech ? » Bien vite, on s’aperçut que la pièce avait disparu. Profondément troublé, le Ktav Sofer se leva et annonça : « Je suis certain que personne dans cette salle n’est animé de mauvaises intentions. Cependant, il se pourrait que l’un des convives l’ait confondu avec une pièce ordinaire. En vous demandant pardon à l’avance, je prie tout le monde de vérifier ses poches pour s’assurer qu’elle ne s’y est pas glissée par mégarde. » L’assistance s’exécuta, mais on ne put mettre la main sur le Chéqel.

A ce constat, le Ktav Sofer commença à manifester de l’inquiétude, et il demanda que chacun fouille dans les poches de son voisin. Mais un vieil homme, un grand érudit qui avait été l’élève du ‘Hatam Sofer, s’y opposa fermement. Il pria l’assistance de continuer les recherches pendant encore un quart d’heure, avant de procéder à cette fouille. Le public acquiesça et les recherches se poursuivirent.Lorsque ce temps fut écoulé, le Chéqel n’avait toujours pas été retrouvé. Le vieillard se leva alors et, d’un ton suppliant, il demanda qu’on attende un nouveau quart d’heure. L’assistance, qui commençait à s’impatienter, protesta contre cette étrange requête. Mais le Ktav Sofer, qui connaissait le vieil érudit comme étant l’un des plus proches disciples de son père, enjoignit aux convives de se conformer à sa demande.

Après un nouveau quart d’heure, des soupçons commencèrent à peser sur le vieil homme. Les larmes aux yeux, ce dernier se leva et supplia l’assistance de bien vouloir consacrer un nouveau quart d’heure aux recherches, en assurant qu’il ne demanderait pas de report supplémentaire. La tension dans la salle était telle que tout le monde protesta. Et n’eut-ce été l’intervention du Ktav Sofer, ce nouveau délai n’aurait certainement pas été accordé à l’ancien élève du ‘Hatam Sofer. Mais à l’instant même où l’on accepta d’attendre un autre quart d’heure, le secrétaire particulier du Ktav Sofer pénétra soudainement dans la salle et annonça : « Voilà la pièce ! »Il expliqua alors que le Chéqel HaQodech s’était visiblement mêlé aux restes de nourriture qui se trouvaient sur les tables, et que lorsqu’on avait secoué les nappes à l’extérieur, il était tombé. Et c’est là qu’il avait découvert la précieuse pièce.

Une fois le calme rétabli, tous les regards se tournèrent vers le vieil érudit : quel était le sens de son étrange comportement ? Comprenant qu’il devait des explications, ce dernier se leva et raconta les faits suivants : « Vous savez à présent que je suis un disciple du ‘Hatam Sofer. Le jour où j’ai reçu l’invitation pour prendre part à cette soirée exceptionnelle, dans laquelle sont rassemblés les membres les plus importants du judaïsme hongrois, je me suis dit que ce serait l’occasion de faire profiter l’assistance d’une belle surprise. En effet, j’ai en ma possession un objet rare, qui aurait certainement émerveillé toutes les personnes présentes : un authentique Chéqel HaQodech de l’époque du Temple ! Lorsque le Ktav Sofer, le fils de mon maître, a annoncé qu’il présenterait une pièce identique, j’ai remarqué combien il attachait de valeur à la rareté de sa pièce. Pour ne pas le peiner, j’ai décidé de renoncer à exhiber ma propre pièce, par égard pour lui.

Quand la pièce a disparu, et que l’on a suggéré que chacun fouille les poches de son voisin, je me suis imaginé quel aurait été le ‘Hiloul HaChem [profanation du Nom divin] si on l’avait découverte sur moi, le propre élève du ‘Hatam Sofer ! A ce moment-là, mes explications seraient certainement restées vaines, et nul n’aurait cru que je puisse posséder une pièce exactement semblable. C’est pourquoi je me suis tant efforcé de faire prolonger les recherches. Parallèlement à cela, j’ai adressé une prière au Maître du monde, l’implorant de ne pas m’infliger pareille humiliation, et de ne pas laisser un si terrible ‘Hiloul HaChem se produire par ma faute.Par la grâce de D.ieu, ma prière a été entendue, la pièce a été retrouvée et je peux à présent vous montrer mon Chéqel HaQodech », conclut-il en exhibant sa propre pièce.

Après lui, le Ktav Sofer se tourna vers l’assemblée et annonça : « Nous devons rendre grâce à D.ieu pour cette heureuse conclusion, et pour nous avoir épargné un tel ‘Hiloul HaChem. Car de fait, si ma pièce n’avait pas été retrouvée, qui aurait cru cet homme ? Personne n’aurait pu envisager qu’un second Chéqel, en tous points identique au mien, se trouve ici, ce soir dans cette pièce !Les événements de cette soirée nous apprennent à quel point nous devons juger autrui favorablement ! Même lorsque les faits semblent accuser quelqu’un de façon évidente – comme ce fut le cas ce soir – nous devons encore le juger en bonne part.Si nous ne nous étions rassemblés ici que pour retenir cette leçon, cela nous aurait suffi ! »

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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