« N’aie pas en horreur l’Egyptien, car tu as séjourné dans son pays » (Dévarim 23,8)
« N’aie absolument pas en horreur les Egyptiens, bien qu’ils aient jeté tes enfants mâles au fleuve. Pourquoi ? Parce qu’ils t’ont accueilli lorsque tu étais dans la détresse. » (Rachi)
Imaginons que nous louions une maison pendant une période donnée, et qu’au moment de quitter les lieux, le propriétaire nous empêche d’en sortir. Comment réagirions-nous ? Imaginons qu’en outre, cet homme nous accable de nombreux tourments, sans nous laisser un instant de quiétude. A présent, si l’on nous imposait d’éprouver de la gratitude envers cet homme, parce qu’il nous a laissés vivre sous son toit pendant un certain temps, y souscririons-nous ? C’est par cette idée que rav Yérou’ham Leibovitz introduit sa réflexion sur le commandement de « ne pas avoir l’Egyptien en horreur » (Da’at ‘Hokhma OuMoussar tome I, chap.27). En effet, à l’instar de cet étrange propriétaire, les Egyptiens touchèrent une pleine compensation pour nous avoir accueillis dans leur pays : non seulement Yossef sauva toute leur nation de la famine, mais de surcroît, ils ne rétribuèrent jamais les travaux forcés auxquels furent soumis six cent mille Hébreux pendant quatre cent trente ans ! (cf. Sanhédrin 91a). Sans compter les mille supplices dont ils accablèrent leurs esclaves, au point de changer leur terre d’accueil en un véritable guéhinam ! Or, en dépit de tout cela, la Tora nous impose de « ne pas avoir l’Egyptien en horreur », au motif qu’il nous a « accueillis quand nous étions dans la détresse » !
La leçon que nous devons en dégager est proportionnelle à la pertinence de la question : ceci nous apprend que tout Juif est tenu de faire preuve d’une noblesse de caractère dépassant toutes ces considérations, au point d’éprouver malgré tout une sincère gratitude envers l’Egyptien ! Car de fait, la vertu emblématique du peuple juif n’est autre que sa moralité. Si, dans l’exemple de la location cité plus haut, nous étions arrivés à la conclusion que l’on ne peut envisager d’éprouver de la gratitude envers un propriétaire tortionnaire, la Tora nous enseigne que même dans ce cas, il faut être capable de se montrer reconnaissant.Cette marque de noblesse apparaît, dans notre paracha, également à travers les versets précédents :
« Ni un ‘Amonite ni un Moabite ne seront admis dans l’assemblée de l’Eternel, même après la dixième génération. » Pourquoi tant de sévérité ? « Parce qu’ils ne vous ont pas offert le pain et l’eau à votre passage, au sortir de l’Egypte. » Le Ramban écrit à ce sujet : « Il me semble que si la Tora écarte ces deux nations sœurs de l’assemblée juive, c’est parce qu’elles étaient redevables à Avraham, qui avait sauvé leur père et leur mère de l’épée et de la captivité [lors du combat engagé contre les quatre rois cananéens], ainsi que de la destruction [de Sodome et Gomorrhe]. Ces peuples avaient donc une dette morale envers Israël, mais ils ne lui firent pourtant que du mal. Le premier méfait fut de louer les services de Bil’am – pour ce qui est des Moabites – et le second fut de ne pas aller au-devant du peuple hébreu avec du pain et de l’eau lorsqu’il approcha de leurs frontières – pour les ‘Amonites. […] C’est la raison pour laquelle la Tora mentionne ici les ‘Amonites en premier, en rappelant d’abord leur faute, et ensuite les Moabites et leur méfait. »
Une formidable leçon se dégage de ces différents points : les Egyptiens, en dépit de tout le mal qu’ils infligèrent au peuple juif, ne furent pas pour autant écartés de l’assemblée de D.ieu. Et ‘Amon et Moav, bien qu’ils n’opprimassent jamais Israël, furent bannis à jamais, parce qu’ils ne surent pas faire preuve de reconnaissance envers les enfants d’Avraham. Que devons-nous comprendre de ce paradoxe ? Que les personnes dotées de qualités corrompues et perverses n’ont pas leur place au sein du peuple juif. Telle est l’importance que la Tora accorde aux vertus morales : des fautes extrêmement graves, perpétrées par un peuple entier, ne justifient pas qu’il soit écarté de l’assemblée de D.ieu ; mais de mauvaises qualités morales, oui. Voilà quel niveau de gratitude la Tora attend de nous : des centaines de générations plus tard, les descendants des Hébreux doivent toujours avoir à l’esprit les bienfaits des Egyptiens – malgré les océans de maux et de douleurs qu’ils nous infligèrent – car c’est là le sceau du peuple juif.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.