Le Machguia’h de Poniewicz- Rav DESSLER

Meir LAMBERSKI, Betsalel KARLINSKI, Itshak ROTH

Dès son arrivée à Poniewicz, rav Dessler donna un nouveau ton à la yechiva, comme le fit en son temps le rav Yerou’ham Leibovicz – célèbre machguia’h et figure emblématique de la yechivat Mir – dans les années d’avant-guerre.Officiellement, rav Dessler était le machguia’h de la yechiva, pourtant il répétait à qui voulait l’entendre : « Je ne suis pas le machguia’h. » Un machguia’h dans le sens strict du terme doit non seulement donner des si’hot moussar, mais il doit aussi surveiller les ba’hourim, leurs allers et venues, leurs occupations, il doit veiller à leur éducation et faire s’il le faut des remontrances ou corriger leur inconduite, etc. Rabbénou, quant à lui, refusa de jouer le rôle du censeur. Il en avait averti le rav Kahaneman : rav Dessler n’avait accepté la fonction qu’à la condition d’être seulement chargé de donner des si’hot. Comme le fit remarquer le rav Its’hak Grinberg, Rabbénou ne se voyait pas faire la police. Il avait grandi parmi ceux qui, imprégnés de la lumière de la Torah, étaient capables d’amender leurs actes. A ses yeux, les semonces et les reproches n’avaient de sens que si l’on avait atteint soi-même le niveau de ce que l’on prêche à autrui. On ne pouvait avoir d’influence sur les autres que si l’on avait d’abord accompli un véritable travail sur soi.

Ce furent donc deux ba’hourim plus âgés, ‘Haïm Friedlander et Chimchon Harari qui furent chargés de la surveillance. Rav Dessler eut le projet de faire venir d’autres machgui’him à Poniewicz, comme le rav Chraga Grossbard ou le rav Chlomo Wolbe, mais sans succès.Bien qu’en apparence, il se cantonnât dans la transmission de son savoir, rav Dessler dirigeait les élèves de la yechiva d’une main de maître. Comme de coutume, il n’avait recours ni aux remontrances ni aux critiques, distillant ses messages sans jamais viser qui que ce soit en particulier, mais en suggérant de manière générale tel ou tel trait de caractère. Il grossissait les défauts et les torts et précisait souvent qu’il les avait identifiés en lui…Il parsemait son discours de mots d’esprit et d’humour, de sorte qu’il n’était pas rare d’entendre, au milieu de ses si’hot, une explosion de rires. Il ne manquait pas de talent pour décrire de manière vivante et pittoresque le ridicule d’une mauvaise mida ou la bêtise de la quête matérielle. Ces descriptions imagées lui semblaient indispensables, tant il était persuadé, à l’instar du Saba MiKelm, que seule l’imagination permettait à l’homme d’ouvrir son cœur à ce que son esprit avait perçu.

Un jour, les Maccabiades devaient se tenir à Tel-Aviv, et certains élèves de la yechiva avaient décidé d’y assister. Cette semaine-là, dans sa si’ha, rav Dessler se mit à décrire avec force détails une partie de football. Onze adultes courent derrière un ballon comme des enfants, le plus rapide l’attrape et donne un fabuleux coup de pied, qui met la foule réunie en liesse, et ça recommence… Avec cet exposé amusant, Rabbénou leur enleva le goût de participer à l’événement, comme en témoigne le rav Méïr Munk. Une autre fois, ayant constaté un certain relâchement dans les sessions d’étude du vendredi après-midi, rav Dessler se mit à décrire comment les ba’hourim des yechivot européennes accueillaient jadis le Chabbat. Vers midi, ils avaient déjà achevé tous leurs préparatifs, après quoi ils s’installaient pour consacrer l’après-midi entière à l’étude pour entrer sereinement dans le saint jour au milieu d’une page de guemara. Le Chabbat lui-même, il y en avait un certain nombre qui s’empêchaient de dormir toute la journée durant afin de profiter de chaque instant de kedoucha. Ce n’était pas la peine d’en rajouter. L’audience avait bien compris où le rav voulait en venir… et les résultats ne se firent guère attendre. Le vendredi suivant, l’absentéisme était nul sur les bancs du beth hamidrach…Parfois pourtant, rav Dessler n’hésitait pas à faire des remontrances directes et publiques. Ainsi, un soir de ‘Hanoucca, Rabbénou entendit des chants et des éclats de voix accompagnés de musique provenant de la yechiva. Un des ba’hourim avait pris l’initiative d’organiser une petite fête. Le lendemain, après l’office, Rabbénou monta à la tribune. Il condamna avec vigueur et grand fracas cette entorse qui avait été faite à l’esprit de la yechiva, et ce manque de considération envers les habitants du quartier…

Un kiosque se trouvait non loin de la yechiva et les ba’hourim y achetaient à crédit du lait et autres confiseries. La monnaie israélienne venant d’être dévaluée, les élèves, qui avaient attendu que le shekel soit déprécié afin de s’acquitter de leurs dettes, firent quelques bénéfices… Le commerçant outré vint s’en plaindre auprès de Rabbénou et en réponse, le rav dénonça publiquement le recours à la tromperie, même lorsque la halakha le permet explicitement, tout en déplorant cette attitude des plus détestables. Rav Dessler était d’un abord facile. Il respectait profondément ses talmidim et n’avait avec eux aucun rapport d’autorité. Rav Aharon Yechayaou Reuter chlita, un de ses élèves, rapporte que lorsque Rabbénou souhaitait faire une remarque à un ba’hour, il le prenait à part pour ne pas lui faire honte devant les autres… Souvent, il lui arrivait de parler à un élève qui était assis alors que lui-même restait debout. Aux dires de rav Moché Chapira, Rabbénou faisait sentir à son interlocuteur qu’un lien puissant les unissait, qu’il y avait entre eux une véritable connexion. Et lorsqu’un talmid venait lui rendre visite, il le recevait avec les meilleurs égards, comme une personne importante. Ainsi, comme le rapporte le rav Dov Wein chlita, s’étant rendu un jour chez Rabbénou en compagnie d’un groupe d’élèves de la yechiva, pendant ‘Hol Hamoed, le rav leur dit avec sincérité : « C’est un grand honneur pour moi de vous recevoir ! » et il s’empressa de servir du vin tout en ajoutant : « J'ai fait ce vin moi-même. Je ne le sers que pour honorer des invités de marque ! »

Il en était de même avec les parents de ses ba’hourim. La mère de l’un d’eux ne partageait pas l’avis de son fils à propos d’un certain chiddoukh qu’on lui avait proposé. Elle souhaitait en parler avec Rabbénou. Le fils tenta de la convaincre qu’il ne fallait pas déranger le rav pour si peu de choses, mais sans succès. Un soir, alors que le ba’hour étudiait chez Rabbénou, on entendit frapper à la porte. Le jeune homme se précipita pour ouvrir lorsqu’il découvrit, stupéfait, que sa mère se tenait dans l’embrasure. Il tenta une dernière fois de la convaincre de rebrousser chemin, mais celle-ci ne voulut rien entendre. Rav Dessler, intrigué par l’échange animé, se leva à son tour. L’élève penaud fit les présentations tout en se confondant en excuses. Aussitôt, Rabbénou souhaita la bienvenue à la mère avec chaleur et enthousiasme, tout en s’exclamant qu’au contraire, c’était pour lui un honneur de parler avec la mère d’un talmidhakham ! Autant Rabbénou était affable et obligeant avec les autres, autant il s’appliquait à ne jamais dépendre de l’aide d’autrui. Ainsi, après le décès de la rabbanite, Chalom Ulman, un de ses disciples, fut désigné pour habiter avec lui et l’assister. Mais rav Dessler se gardait bien de le solliciter pour quoi que ce soit. Au pire, il lui arrivait de lui demander une tasse de café, et encore, certainement parce qu’il ne voulait pas mettre le ba’hour, qui avait été choisi pour cette tâche, dans l’embarras. Il refusait que le jeune homme lui cire ses chaussures ou lui prépare le vin doux pour Chabbat, malgré l’insistance de ce dernier. On avait l’habitude de dire à la yechiva que c’était rav Dessler qui servait son élève plutôt que le contraire… Ce respect, il ne le vouait pas uniquement à ses disciples. Un jour, il reçut chez lui le jeune machguia'h, le rav Chlomo Wolbe. Lorsque ce dernier s’apprêta à partir, rav Dessler prétexta quelque course à faire pour l’accompagner jusqu’à la station et attendre avec lui que le bus arrive, sans le lui faire sentir.

Cet extrait est issu du livre « Rav Dessler : sa vie, son œuvre » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation.

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