La semaine dernière, ma fille est rentrée à la maison avec un air mélancolique et trempée de la tête aux pieds. Elle laissa tomber sa sacoche et s'empressa de changer de vêtements. Quand je lui ai demandé comment s'était passée sa journée, seul le silence me répondit. Elle essayait clairement d'avaler ses larmes. Quand je lui ai demandé comment elle s'était mouillée, elle ne pouvait plus se contenir et fondit en larmes.
“Ce n'est pas à l'école que j'ai eu ça …”, cria-t-elle, “c'était à l'arrêt du bus, après être descendue …” Je commençais doucement à comprendre ses mots qui formaient avec difficulté des phrases. En descendant du bus, elle a rencontré un groupe de filles fréquentant l'école publique de la ville. Elles l'ont remarquée et ont décidé que c'était une belle occasion de s'amuser un peu en s'en prenant à elle.
“Elles m'ont demandé pourquoi par une journée si chaude, je portais une chemise à manches longues boutonnée jusqu'en haut''
“Et qu'est-ce que tu leur as dit ?” J'étais étonnée de connaitre la réponse qu'elle leur avait donnée. “Je leur ai dit que… que ma mère ne me permettait pas les manches courtes …” avoua t-elle en gémissant. “Et c'est là qu'elles m'ont arrosée en rigolant et en me disant que comme ça, j'aurais moins chaud … elles ont continué à se moquer de moi me traitant de ''Dossit'' (Ndt : orthodoxe en langage courant)''… Ma fille ne s'arrêtait pas de pleurer.
J'avais énormément de peine pour ma fille, mais en même temps, j'étais un peu déçue… Ma fille est intelligente et réfléchie. En tant que famille vivant dans une ville ouverte avec des religieux et des non-religieux, nous parlons souvent ensemble des différences entre nos deux communautés, des raisons pour lesquelles nous nous habillons comme nous nous habillons, du fait que nous ne possédons pas d'iPhone, que nous n'élevons pas de chien et que nous ne crions pas dans les rues. Combien de fois avons-nous évoqué ce sujet. Et la réponse qu'elle trouve à donner à ces filles c'est “Ma mère ne me permet pas?”
“Et si je te laissais porter des manches courtes ?” me suis-je soudain retrouvée à lui demander. “Si je te laissais en porter, en porterais-tu ?” Elle fut surprise par ma question. “Non, je n'en porterais pas, car j'ai honte que l'on me voie si je ne suis pas habillée avec pudeur.” Encore une réponse inattendue.
Je l'ai laissée seule et suis retournée vaquer à mes occupations tout en méditant.
Provocation sans raison
Hier, c'est encore arrivé. Ma fille est rentrée en trombe, son chemisier encore trempé. Elle tremblait à force de pleurer. “Elles m'ont encore jeté de l'eau !…” hurla-t-elle. Je savais déjà de qui elle voulait parler.
Sauf que cette-fois ci la raison de leur attaque était différente. Ma fille portait ce jour-là une chemise blanche, à l'occasion du jour de la naissance du Rabbi (l'habitude dans son école est de porter des vêtements de fête ce jour-là). Les filles du groupe étaient également vêtues d'une chemise blanche en l'honneur de la cérémonie de Yom Haatsmaout qui se tenait dans leur école ce même jour.
“Elles m'ont vue descendre du bus. Elles criaient après moi : ''Ah on est habillées de la même façon aujourd'hui !'' Elles m'ont à nouveau aspergée en me disant de déguerpir, ce que je fis le plus vite possible…''
Je l'ai écoutée jusqu'à la fin, puis, j'ai soudain découvert quelque chose d'intéressant. “Quand tu étais habillée différemment, elles se moquaient de toi, mais même quand tu portais la même chose qu'elles, ça ne les a pas empêché de te taquiner… Donc en fait, ça veut dire que …” “Elles ne se moquent pas de moi à cause de mes vêtements,” répondit ma fille à ma place. Puis j'ai ajouté : “Alors pour quelle raison ?''
Ma fille est rentrée dans sa chambre. Mais cette fois j'étais trop préoccupée pour penser à autre chose. Je me suis alors souvenue de l'histoire d'un juif religieux qui monta un jour dans un bus. Le chauffeur l'accueillit à grands cris : “Parasite, vas travailler !” L'homme ne paniqua pas face à cet accueil, pour le moins antipathique. “Justement, je reviens de mon travail”, déclara t-il. “Alors vas à l'armée !” poursuivit le chauffeur. A nouveau, l'homme garda son calme. “La semaine dernière, j'étais en Milouïm (Ndt :semaine d'entrainement des officiers de réserve)”, répondit-il. Le chauffeur ne trouva rien d'autre à répondre que “Alors, vas au diable!”
Il semble que ce conducteur de bus se présente à chaque fois sous le couvert d'autres personnalités qui, à plusieurs reprises, incriminent de manière flagrante le public ultra-orthodoxe, sans motif ni justification. Comme le maire de Tibériade, Ron Kobi, qui publie des déclarations haineuses et répétées contre la communauté religieuse de la ville, ou encore YairLapid, qui a exposé le week-end dernier sa fausse et délirante vision des choses en affirmant : “Un grand-père de 80 ans ayant combattu lors de toutes les guerres d'Israël reçoit une indemnité de 2,432 NIS. Un étudiant de Yechiva âgé de 19 ans et qui ne fait pas son service militaire reçoit 8 000 NIS. “
J'ai soudain réalisé que pour ceux qui veulent faire du mal et inciter à la haine, les faits exacts et les données réelles ne changent rien. Peu importe qu'un élève de Yéchiva reçoive en moyenne 1 000 NIS par mois. Peu importe que nous travaillions, payions des impôts et fassions partie intégrante de cet Etat, tout comme les autres citoyens.
Nous resterons toujours différents. Peu importe que l'on soit debout pendant la sirène ou que l'on lise des psaumes, que nous essayions de répondre ou d’expliquer, ou que nous choisissions de garder le silence. Peu importe la façon dont nous réagissons, les gens nous considéreront toujours comme venant d'une autre planète.
Nous sommes différents. C'est un fait.
Différents par nos vêtements, par nos opinions, par notre style de vie, par notre culture. De jour en jour, la différence devient plus profonde. Nos sujets de conversation sont tellement différents. Et c'est précisément pourquoi cette provocation revient. Une provocation qui ne cherche plus de raisons justifiées et ignore la réalité.
Arrêtons-nous un instant et regardons autour de nous. Ces dernières années, de nombreuses chroniques de protestation ont été publiées à la veille de Yom Ha'atsmaout par les meilleurs membres des médias orthodoxes souhaitant mettre les choses au clair. “Nous n'avons rien contre les combattants courageux qui ont sacrifié leur vie pour nous. Nous ressentons également la douleur du deuil, nous leurs en sommes reconnaissants et comprenons que c'est grâce à eux que nous sommes ici. ' Malgré tout, nous sommes toujours considérés comme ''ces ultra-orthodoxes qui ne se tiennent pas debout pendant la sirène et qui, le Jour de l'Indépendance brûlent des drapeaux”.
C'est l'amour qui gagne
Bien sûr, je ne voudrais pas un instant ressembler à ces fanatiques tout comme je ne voudrais pas que ma fille se promène en manches courtes. Le principal c'est de ne pas en arriver à la moquerie. Ce n'est pas le but. Mais aujourd'hui, en ce jour où l'État a été créé, il est temps de comprendre, que cela nous plaise ou non, que nous avons une chose en commun. L'État d’Israël, malgré ses intrigues et ses divergences, c'est justement cet Etat qui nous unit et nous lie. Bien que nous n'étendions pas son drapeau sur notre balcon, nous sommes heureux de faire partie de cet Etat et ferons notre possible pour continuer à y vivre. Cet Etat, qui ne suit pas toujours l’esprit de la loi juive et du judaïsme et ignore souvent l’opinion des Rabbanim, et bien cet Etat reste notre Etat et je n'en vois pas d'autre meilleur que lui pour nous. C'est cet Etat, avec ses citoyens, qui, malgré leurs différences, sont nos frères et au bout du compte, nous vivons tous sous le même toit.
Il est vrai que nous semblons parfois nous éloigner jusqu'à devenir des entités totalement et tellement différentes, mais à chaque fois, nous retrouvons des moments d'unité qui réchauffent nos cœurs et qui nous rappellent que nous sommes un seul et même peuple. Cela peut s'exprimer par un orthodoxe qui fait don de son rein à une personne laïque qu'il ne connait pas. Cela peut s'exprimer par un pompier qui sauve un bébé des flammes en plein Bné-Brak. Cela peut s'exprimer par un soldat qui, lors d'une sirène, protège de son propre corps les enfants jouant dans les rues d'Ashdod.
On connait bien le phénomène des frères qui se disputent sans cesse durant leur enfance, mais qui, plus tard avouent que ce sont justement ces querelles qui les unissent aujourd'hui. Tout pédagogue vous affirmera qu'une telle attitude est tout à fait normale. Les frères ne sont pas forcément les mêmes. Les disputes sont inévitables, mais cela ne vient en rien effacer ces liens du sang qui existeront à tout jamais.