« Jacob s’installa dans le pays du séjour de son père, dans le pays de Canaan. »(Berechit 37,1) Rachi rapporte l’explication du Midrash Rabba sur le terme « vayechev » (s’installa) : Jacob après les difficiles épreuves qu’il surmonta, désirait s’installer en toute tranquillité mais les tourments de Yossef se sont abattus sur lui. Le Saint Béni Soit–Il dit : « Ne suffit-il pas aux justes ce qui leur sera réservé au monde futur et encore ils réclament la quiétude dans ce monde ci ? »Ce passage du Midrash est bien difficile à saisir : quel est le mal de demander de la sérénité et du repos ? Pour notre Patriarche Jacob, cette requête ne provenait certainement pas d’une volonté de se relâcher pour profiter des plaisirs de ce monde mais bien évidement pour mieux servir son Créateur !Cette interrogation fondamentale est soulevée par de nombreux commentateurs et différentes réponses ont été données. Je me permettrais cependant d’apporter ma part dans ce sujet.
Le Or Yahel (commentaire du rav Yehouda Leib H’assman zatsal) sur cette paracha nous fait remarquer : si nous demandons à une des personnes parmi nous que souhaiterait-elle avoir pour atteindre un grand niveau spirituel ? Il est clair qu’elle nous répondrait qu’elle voudrait avoir une maison d’étude agréable, large, très bien meublée avec de nombreux livres neufs et luisants, des ustensiles d’une grande beauté qui élargissent l’esprit de l’homme, des fenêtres qui feraient entrer un bon air pur et revigorant et qui donneraient sur un splendide panorama. Bien sûr, il faudrait aussi qu’elle soit assurée d’une bonne subsistance qui la libérera du lourd poids que cela représente. (Celui qui sait ce qui signifie étudier la Tora à plein temps se rend souvent compte que la réalité est bien à des kilomètres de ce rêve !).Son intention est assurément sincère pour pouvoir progresser spirituellement, cependant le Rav H’assman affirme que son désir mérite d’être bien analysé.
Si cette personne désire tellement s’élever spirituellement pourquoi le fait-elle dépendre d’autre chose ? Pourquoi ne pas se réjouir de ce qu’elle a et se consacrer totalement à ses projets ? Le manque qui nous dérange tellement d’avancer n’a-t-il pas été agrandi par notre propre volonté de vouloir toujours le meilleur ?Nous apprenons ici une leçon fondamentale pour toute la vie :
Le travail de l’homme dans ce monde n’est pas d’essayer toute sa vie d’atteindre ce qu’il n’a pas mais plutôt de faire avec ce qu’il a.« Tu aimeras Hachem ton D. de tout ton cœur, de tout ton âme et de toutes tes forces » (Devarim, texte du Chéma). Le terme meodeh’a ordinairement traduit par « force » est interprété dans le Talmud traité Berah’ot dans le sens de « mesure » (mida). C’est à dire que dans chaque mesure reçue par Dieu, dans chaque situation il faut être capable de le servir.Combien de personnes m’est-il arrivé de rencontrer, en accompagnant mon père le Grand rabbin chlit’’a, qui tentaient de justifier leur faible pratique des mitsvots par une pléthore d’arguments « je ne peux pas pratiquer car je travaille, ma femme ne veut pas etc. »
Il n’existe pas une personne au monde qui n’a pas de difficultés : que ce soit dans la famille, les enfants, la structure d’étude, la subsistance, la santé, les voisins… Croire que les problèmes ne se trouvent que chez nous serait se leurrer de manière grossière. Le travail attendu de nous est de continuer à agir en se réjouissant du bien que nous avons déjà. « Qui est riche ? Celui qui est heureux de sa part ! » (Pirké Avot).Cet exercice est très difficile mais le jeu en vaut la chandelle : les résultats sont fulgurants, la personne grandit et se retrouve renforcée et stimulée et elle devient elle-même un exemple pour tous ceux qui l’entourent.
Ainsi était les chemins de nos patriarches Abraham, Isaac et Jacob qui ont grandi non malgré leurs épreuves mais grâce à elles. C’était la devise de nos pères, et c’est ce qui a permis à notre peuple multiséculaire d’exister. Cette leçon convient parfaitement à cette époque hivernale où le froid s’accentue, le jour se raccourcit et l’obscurité règne. Le moral pourrait en souffrir, mais D.ieu dans sa grande bonté nous envoie H’anoucca à cette époque pour nous faire comprendre qu’il faut allumer cette lumière de l’espoir et alors le secours sera imminent.