Qedochim. Etre fidèle à la vérité, même dans le cœur

« Vous ne commettrez pas de vol, pas de dénégation, et vous ne vous mentirez pas l’un à l’autre » (Vayiqra 19,11)

« “Dire la vérité dans son cœur“ (Téhilim 15) – c’est-à-dire comme rav Safra. » (Makot 24a) L’exemple de rav Safra, auquel fait allusion cette Guémara, est rapporté par Rachi dans son commentaire sur ce texte : « Le récit suivant figure dans les Chéïltot de rav A’ha (Chéïlta 36) : Rav Safra avait un objet à vendre. Un homme vint le trouver pendant qu’il lisait le Chéma’ et lui dit : “Vends-le-moi pour tant et tant.“ Comme rav Safra lisait le Chéma’, il ne lui répondit pas. En raison de son silence, l’acheteur crut qu’il en voulait un prix plus fort. Il surenchérit donc et lui proposa une somme supplémentaire. Lorsque le maître acheva de lire le Chéma’, il déclara : “Prends cet objet pour le premier prix que tu m’as proposé, car je comptais te le céder pour cette somme.“ »Ce texte est à la source d’une décision halakhique, que rav Chlomo Gantsfried formule ainsi dans le Qitsour Choul’han ‘Aroukh (lois sur le commerce, chap.62 par.16) : « Quiconque se rétracte lors d’une transaction, que ce soit l’acheteur ou le vendeur, est considéré comme ayant une faible émouna, et nos Sages ne le tiennent pas en estime. En effet, chaque Juif doit être fidèle à sa parole, comme il est écrit : “Les survivants d’Israël ne commettront pas d’injustice, ils ne diront pas de mensonge“ (Tséfania 3,13).

De plus, un homme craignant le Ciel devra être fidèle même à ses pensées : s’il a pris la résolution de vendre un objet pour un certain prix et que l’acheteur, ignorant cette décision, surenchérit, le vendeur ne prendra pas davantage que la somme initialement envisagée. Ceci, conformément au verset : “Dire la vérité dans son cœur.“ De même, si l’acheteur a accepté en son for intérieur d’acquérir un objet pour une certaine somme, il ne devra pas se dédire. Il convient d’appliquer cette règle à toutes les relations interpersonnelles… » Un marchand juif pénétra un jour dans la boutique de rav Chraga Feivel Franck (le beau-père de rav Moché Mordékhaï Epstein, le Roch Yéchiva de Slobodka, et de rav Isser Zalman Meltser, le Roch Yéchiva d’Ets ‘Hayim), dans l’intention de lui acheter une importante quantité de peaux tannées.

L’homme demanda à rav Chraga Feivel : « Quel rabais m’accordez-vous pour l’achat de cette grande quantité de peaux ? » Le rav lui répondit : « Mon prix n’est pas discutable. Sachez que mon bénéfice sur les ventes ne s’élève qu’à un faible pourcentage du prix, et il me permet d’en dégager un gain tout juste correct. Je ne peux donc en aucun cas envisager une réduction ! Si cela ne vous convient pas, vous pouvez toujours vous rendre chez d’autres tanneurs de la ville. » Sur ces mots, rav Chraga Feivel lui donna le nom et l’adresse de plusieurs concurrents.Le marchand s’en alla, et se mit en quête de meilleures propositions. Après avoir fait le tour des autres tanneries de la ville, il s’aperçut que le prix proposé par rav Chraga Feivel était effectivement le plus intéressant. Il retourna donc chez ce dernier, et lui annonça qu’il était prêt à lui acheter ses peaux au prix qu’il lui avait indiqué. Mais la réponse du commerçant ne manqua pas de l’étonner : « Je ne vous vendrai pas mes peaux à leur prix habituel, je vous accorderai la ristourne que vous m’avez demandée ! »

Stupéfait, l’homme lui dit : « Auparavant, vous aviez formellement refusé de m’accorder le moindre rabais, et ce, quitte à me laisser aller acheter des peaux ailleurs. Et maintenant que j’accepte votre prix, c’est vous qui me proposez une réduction, sans même que je vous la demande ! Qu’est-ce que cela signifie ? » Rav Chraga Feivel lui donna la réponse suivante : « Tout à l’heure, lorsque vous êtes sorti de mon magasin, je me suis dit que le nombre d’articles que vous comptiez acheter dépassait effectivement de beaucoup ce que je vends d’ordinaire. J’ai réalisé que même si je vous accordais votre ristourne, je tirerais encore un bon bénéfice de cette vente. J’ai donc regretté de m’être montré si intransigeant. A présent que vous revenez vers moi, il m’incombe de rester fidèle à ma décision. Le roi David déclare en effet : “Psaume de David : Eternel, qui séjournera sous Ta tente ? Qui habitera sur Ta montagne sainte ? Celui qui marche intègre, pratique la justice et dit la vérité dans son cœur“ (Téhilim 15). A cet égard, nous disons chaque matin dans nos prières : “Qu’à tout moment, l’homme craigne le Ciel autant dans son intimité que publiquement, et qu’il dise la vérité dans son cœur.“

La voie prônée par le roi David, ainsi que ces mots que je prononce chaque jour dans ma prière, je suis tenu de m’y conformer. Et puisque j’ai admis, dans mon cœur, n’avoir pas réagi correctement à votre proposition, je dois à présent vous vendre mes peaux conformément à ma décision et vous accorder la remise que vous demandiez. Il s’agit d’un devoir auquel nous devons tous nous plier, car tout un chacun est tenu de “dire la vérité dans son cœur“ » (BéDérekh ‘Ets Ha’Haïm p.71).

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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