« Soyez saints, car Je suis saint, Moi l’Eternel votre D.ieu » (Vayiqra 19,2)
« “Soyez saints“ – c’est-à-dire faites preuve d’abstinence. “Sanctifiez-vous et soyez saints, parce que Je suis saint“ (Vayiqra 11) – de même que Je suis saint, vous aussi soyez saints ; de même que Je suis détaché [du monde], vous aussi écartez-vous des tentations. » (Torat Cohanim)
Selon le Ramban, et contrairement à ce qu’affirme Rachi, la notion d’abstinence mentionnée dans ce texte ne fait pas référence spécifiquement à la débauche. D’après lui, elle s’applique à tous les aspects de la vie courante, et il convient donc de comprendre cette expression au sens large.Si le verset nous met en garde à ce sujet, ajoute le Ramban, c’est parce que, parallèlement à la défense des relations illicites et des consommations interdites, la Tora nous accorde une certaine liberté même dans ces domaines : les relations intimes entre un homme et sa femme sont parfaitement légitimes, et la consommation de viande et de vin n’est pas limitée. De sorte qu’un individu, esclave de ses pulsions, pourrait satisfaire toutes ses tentations dans le cadre de ce qui est permis, et devenir ainsi un « dépravé avec la bénédiction de la Tora ». Sans transgresser le moindre interdit, il connaîtrait une vie de débordements autorisés : il consommerait de la viande et du vin tout son saoul, il assouvirait tous ses désirs sans aucune limite, et pour autant, il resterait scrupuleusement fidèle aux prescriptions de la Tora.
Pour éviter ce genre de dérives, la Tora – après avoir énoncé les pratiques formellement défendues dans la paracha précédente – ajoute ici une réserve : faire preuve d’abstinence même dans ce qui est licite ! Aussi, avant d’accomplir tout acte permis, chacun devra vérifier minutieusement s’il n’est pas sur le point de dépasser les limites du raisonnable. Ceci l’incitera à réduire sa consommation de vin (d’autant plus que le nazir est appelé « saint » précisément parce qu’il s’abstient d’en consommer), et si l’envie le prend de boire davantage, il se souviendra de ce qui arriva à Noa’h et à Loth après en avoir abusé. De même, il évitera de se rendre impur inutilement : bien que la Tora ne le défende pas formellement, cette attitude constitue également une forme de sanctification, à l’image du nazir qui est considéré comme « saint » parce qu’il s’oblige à s’éloigner des cadavres humains. Les chemins de la sainteté le conduiront aussi à ne pas manger voracement et à se garder de prononcer des paroles vulgaires. Il suivra cette voie jusqu’à faire preuve d’une parfaite abstinence, à l’instar de Rabbi ‘Hiya qui, de sa vie, ne prononça jamais une parole vaine.
Selon le Ramban, les mots qui suivent immédiatement l’injonction « soyez saints » sont à comprendre comme une promesse : « Car Je suis saint, Moi l’Eternel votre D.ieu. » Autrement dit, ceux qui empruntent le chemin de la sainteté mériteront, par leur abstinence, à s’attacher au Créateur. Cette vue est confirmée par le Gaon de Vilna, dans son Even Chléma (chap.2, alinéa 9) : « Servir le Créateur n’est envisageable qu’après avoir anéanti les tentations et la vanité, conduite que le verset appelle : “être ennemi du lucre“ (Chémot 18). Car il est impossible de savourer la douceur de la Tora sans s’astreindre à des mortifications et sans s’éloigner des tentations. »Le Gaon de Vilna ajoute : « En un premier temps, le mauvais penchant a pour habitude d’encourager l’homme à satisfaire ses désirs, tout en continuant à étudier la Tora. Car s’il l’incitait d’emblée à cesser totalement son étude, il sait qu’il ne l’écouterait pas. Mais lorsque l’homme s’habitue à savourer les plaisirs du corps, il en viendra forcément à interrompre son étude, et il sera continuellement occupé à assouvir ses envies matérielles. Le mauvais penchant lui suggère alors que, s’il renonce à ses nouvelles habitudes, sa santé risque d’en pâtir. Après quoi cet individu cessera de chercher à respecter la Tora et les mitsvot, même lorsque celles-ci n’impliquent pas de se priver de certains plaisirs. Enfin, il ne voudra plus observer les mitsvot même lorsqu’elles ne réclament aucun effort de sa part. »
Le Gaon de Vilna reprend cette idée dans son commentaire sur Michlé (7,27), et interprète à travers elle la formule du vidouy [confession] : « Nous nous sommes trompés, nous nous sommes mépris, nous nous sommes éloignés de Tes mitsvot et nous n’en avons cure. » En un premier temps, notre erreur est de croire que nous pourrions à la fois étudier et satisfaire nos désirs : « Nous nous sommes trompés… » Après quoi « nous nous sommes mépris » – car dès lors, nous avons été dans l’incapacité d’étudier. Ensuite, « nous nous sommes éloignés de Tes mitsvot » – nous avons cessé de chercher à les pratiquer. Et enfin « nous n’en avons cure » – nous avons renoncé à les accomplir même lorsqu’elles se présentaient à nous sans réclamer d’efforts.Selon l’expression consacrée, cette attitude consiste à « se sanctifier dans ce qui est permis ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, celle-ci n’est pas l’apanage des hommes d’exception. L’ouvrage Mofet HaDor témoigne d’une conduite qu’observait rav Yé’hezqel Levinstein, laquelle est un exemple de privation dont chacun peut s’inspirer : « Avant d’entamer son repas, rav Yé’hezqel avait coutume de mettre de côté la quantité de nourriture qu’il comptait consommer, et le reste, il le laissait. Même ce qu’il mangeait, il ne le consommait pas en une fois et marquait de nombreuses pauses. Rabbénou Yona prescrit cette conduite dans le Yessod HaTéchouva : “Au moment du repas, pendant qu’on a encore faim, on laissera un peu de nourriture en l’honneur du Créateur, et l’on n’assouvira pas tout son appétit.“
Rav Yé’hezqel rappelait au nom du Saba de Kelm que, même si l’on mange toute la nourriture servie, le fait de s'arrêter au milieu ou peu avant la fin du repas est également une forme de privation, capable de briser le mauvais penchant. Il nous encourageait vivement à adopter cette même conduite.Rabbénou Yona en fait d’ailleurs l’éloge en ces termes : “Cette attitude éloignera l’homme de la faute et lui rappellera l’amour du Créateur, plus que s’il jeûnait une fois par semaine. Car en agissant ainsi, il renoncera quotidiennement à une part de ses désirs, à chaque fois qu’il mangera ou boira.“ »
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.