« Il vendit son droit d’aînesse à Ya’aqov » (Béréchit 25,33)
De nombreux commentateurs s’interrogent sur la validité de cette vente : la valeur du droit d’aînesse n’est-elle pas nettement supérieure à celle d’un plat de lentilles ? Comment concevoir que Ya’aqov ait pu véritablement acquérir ce droit pour un prix si ridiculement disproportionné ?Rav Eliyahou Michkovsky propose de résoudre cette difficulté à l’aide de cette petite anecdote. Un Juif, à qui l’argent faisait cruellement défaut pour pouvoir décemment marier sa fille, s’adressa à son maître pour lui demander conseil et recevoir sa bénédiction. Le Rav répondit en ces termes : « Retourne chez toi, et la première affaire qui te sera proposée, accepte-la ! Car avec l’aide de D.ieu, tu y trouveras la bénédiction. » Encouragé par cette promesse, l’homme prit la route du retour le cœur léger. En chemin, il s’arrêta dans une auberge, dans laquelle un groupe de marchands s’étaient installés et discutaient de leurs affaires. En voyant ce Juif pieux entrer, l’un d’eux l’apostropha sur un ton moqueur et lui proposa un marché : « Que dirais-tu d’acheter ma part dans le Monde futur pour un rouble ? » Confiant dans la bénédiction de son Rav, le Juif accepta la proposition sans hésitation. Les deux hommes rédigèrent sur-le-champ un acte de vente très officiel, aux termes duquel le marchand cédait l’intégralité de son Monde futur contre un simple rouble.
De retour chez lui, le marchand raconta à sa femme l’amusante « affaire » qu’il avait réalisée le jour même. Mais la réaction de cette dernière le laissa interdit : « Va immédiatement racheter à ce Juif ce que tu lui as vendu ! » Croyant en un premier temps que son épouse s’était elle-même prise au jeu, il s’aperçut rapidement qu’elle ne plaisantait pas : « Je refuse de vivre avec un homme qui a vendu son droit d’entrée au paradis ! » lui annonça-t-elle, catégorique.Contraint et forcé, l’homme alla retrouver le Juif pieux à l’auberge et le pria d’annuler la vente. Mais il n’était pas arrivé au bout de ses peines, car ce dernier refusa fermement : « Une affaire est une affaire, déclara-t-il d’un ton décidé, et il est hors de question de l’annuler ! » Le marchand eut beau expliquer, supplier et même renchérir le prix de la transaction, l’autre refusait obstinément de se rétracter. Au bout du compte, il ne lui restait plus qu’à consulter le Rav de l’acheteur pour le convaincre de parler à son disciple. Il en allait de la survie de son couple !
Lorsque le Rav fut informé de ces faits, il déclara : « Mon élève est parfaitement dans son droit ! Cependant, il se pourrait que je parvienne à le convaincre de vous rendre votre bien si vous acceptez d’en payer le prix fort ! » Sans hésiter, le marchand répondit : « Votre prix sera le mien ! » Le Rav enchaîna aussitôt : « Ce Juif est sur le point de marier sa fille, et si vous acceptez de prendre la charge de tous les frais du mariage, je pourrais le persuader d’annuler la vente. » Le négociant accepta et remit au père de la mariée l’argent nécessaire. L’autre céda alors en retour la part du Monde futur achetée à si bon prix !Lorsque l’affaire fut conclue, le marchand ne put s’empêcher de formuler une dernière question au Rav : « J’ai accepté toutes vos conditions, mais je voudrais que l’on m’explique la justice de votre décision : hier, cet homme a acheté un bien pour le prix d’un seul rouble. Et aujourd’hui, j’ai dû en payer mille fois le prix ! »Le maître d’expliquer : « Le prix de toute marchandise ne dépend que de l’importance qu’on lui accorde. Hier, vous méprisiez totalement la valeur du Monde futur, et c’est pourquoi vous aviez estimé son prix à un rouble. Mais à présent, vous tenez à votre part éternelle parce que votre couple en dépend, et son prix a donc décuplé proportionnellement à la valeur que vous lui attribuez…»
Il en fut ainsi au sujet du droit d’aînesse, dont il est dit : « ‘Essav méprisa le droit d’aînesse. » A ses yeux, ce privilège n’avait guère plus de valeur qu’un plat de lentilles. Par conséquent, on ne saurait parler ici de vente abusive dans la mesure où le prix payé par Ya’aqov était justifié par le peu d’importance que lui accordait ‘Essav. Même si finalement, ce dernier cria amèrement pour l’avoir perdu, il n’en reste pas moins qu’au moment de la vente, Ya’aqov en paya le juste prix.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.