« Si c’est par reconnaissance que l’on offre ce sacrifice… » (Vayiqra 7,12)
Dans l’acception commune, le vocable « merci » est une expression de gratitude, adressée à celui dont on est redevable d’un bienfait. Et en conséquence, telle est également l’idée que l’on se fait généralement du « sacrifice de reconnaissance » dont traite notre verset.
Mais selon rav Its’haq Hutner (Pa’had Its’haq sur ‘Hanouka 2,2), la notion de reconnaissance renferme en vérité deux idées distinctes : elle est d’une part une expression de gratitude, et d’autre part un aveu, comme lorsqu’on admet s’être trompé. La « reconnaissance » d’un bienfait est un témoignage de gratitude à l’égard d’une faveur dont on a bénéficié. Et la « reconnaissance » en cas de litige signifie qu’un des plaignants concède à la partie adverse qu’elle avait raison. Le point commun entre ces deux notions – qui semblent de prime abord fort éloignées – réside dans la volonté d’indépendance innée dans la nature humaine, cette tendance à ne vouloir être redevable à personne. De ce fait, lorsqu’une personne est amenée à exprimer sa gratitude à quelqu’un, il s’agit d’un véritable acte de « reconnaissance » – c’est-à-dire d’un aveu témoignant que pour le coup, elle a dû avoir recours aux services d’autrui. Il s’avère donc que l’origine psychologique de toute expression de gratitude est, in fine, un aveu par lequel on admet être dépendant d’autrui.
Ceci est vrai pour les relations sociales, et à plus forte raison pour celles que l’on entretient avec le Créateur. « L’homme naît tel un âne sauvage », dit le verset dans Job (chap.11) : à l’état sauvage, tout être humain est animé du sentiment que « c’est ma propre force, c’est le pouvoir de mon bras qui m’a valu cette réussite » (Dévarim 8). En offrant à D.ieu un sacrifice de reconnaissance, l’homme admet qu’il ne possède rien de lui-même.Grâce à cet éclairage, nous pouvons résoudre une répétition apparente figurant dans la bénédiction de Modim. Au début de cette bénédiction que l’on récite dans la ‘Amida, nous exprimons notre gratitude à D.ieu en disant : « Nous Te sommes reconnaissants… » Et plus loin, les mêmes mots reviennent encore : « Nous Te sommes reconnaissants et nous raconterons Ta louange… » Loin d’être une redondance, ces deux expressions désignent les deux notions de « reconnaissance » évoquées plus haut.
En vérité, ceci apparaît dans les termes mêmes de cette prière, à travers une nuance grammaticale qui distingue les deux acceptions du mot. Lorsque le verbe « reconnaître » vient exprimer une idée de gratitude, il est toujours suivi, en hébreu, de la préposition « ‘al » – correspondant approximativement à « pour » : une personne témoigne sa gratitude « pour » un bienfait reçu. Mais lorsqu’il s’agit d’admettre que l’on était dans son tort, le verbe « reconnaître » est suivi de la conjonction « que », comme lorsque nous disons que Réouven reconnaît qu’il doit une somme d’argent à Chim’on.Ainsi, la bénédiction de Modim débute par ces mots : « Nous reconnaissons que Tu es l’Eternel… » – c’est-à-dire qu’à cet instant, nous admettons que ce que nous sommes et que ce que nous avons proviennent intégralement de D.ieu. Mais dans la phrase suivante, nous déclarons : « Nous Te sommes reconnaissants […] pour notre vie qui est confiée entre Tes mains » – exprimant ainsi notre gratitude à D.ieu de nous avoir comblés de Ses bienfaits.
Lorsque Léa mit au monde le quatrième fils de Ya’aqov, elle s’exclama : « Pour le coup, je rends grâce à l’Eternel » (Béréchit 29). Rachi écrit dans son commentaire : « Parce que j’ai reçu plus que ma part, je dois à présent Lui être reconnaissante. » A la lumière de nos explications, cette déclaration prend un sens nouveau : la reconnaissance de Léa à la naissance de Yéhouda était également une forme d’aveu adressée à la « partie adverse », car elle avait effectivement reçu plus que ce qui lui revenait de droit.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.