Chaque mois, tous les lieux saints et en particulier le Kotel Hamaaravi, reçoivent la visite de personnalités publiques de tout ordre : Raché Yéchivot, ambassadeurs, présidents, premiers ministres, hommes de foi, et cætera. Malgré leurs différences, tous baissent la tête et lèvent les yeux vers le Ciel, en attente de la bénédiction divine. Mais pour moi, les plus importants sont les Raché Yéchivot. En réalité, chaque dirigeant de Yéchiva est unique en son genre, mais celui dont j’aimerais vous parler est réellement unique. Au fil des ans, de nombreux échos me sont parvenus à propos de sa personnalité hors du commun et ont encore intensifié l’admiration que je lui porte. Avant de vous rapporter l’épisode qui eut lieu près du Kotel, j’aimerais partager avec vous l’un des récits entendus à son propos, et qui, selon moi, témoigne parfaitement de la noblesse de cet homme. Un jour, le Roch Yéchiva en question voyagea à l’étranger afin de collecter des fonds pour son institution. L’un des riches notables de la ville où il se trouvait, l’invita chez lui durant son séjour. Celui-ci lui fit tous les honneurs et s’efforça de combler le moindre de ses désirs. Il était conscient de l’importance de ce Juste, mais aussi de ce qu’il incarnait : une tradition vieille de plus de deux mille ans qui se transmet de génération en génération.
La demeure de cet homme s’élevait sur plusieurs étages, et afin de ne pas fatiguer le Roch Yéchiva qui était déjà d’un certain âge, il décida de l’installer dans sa propre chambre à coucher, située au premier étage. Bien entendu, le Roch Yéchiva refusa tant de considération, mais voyant combien la chose avait de l’importance pour son hôte, il se résigna à accepter sa proposition. La nuit, il dormait donc sur un lit confortable, dans la chambre luxueuse de ce riche. Une nuit, le jeune fils du notable fit un cauchemar effrayant. Il se réveilla en sursaut et à ses yeux encore bouffis de sommeil, tous les jouets sophistiqués de sa chambre se transformèrent en créatures étranges qui le menaçaient. L’enfant fit de son mieux pour fermer les yeux et fuir ces visions d’épouvante, mais les rêves et les pensées qui s’emparaient de lui l’obligèrent à les garder ouverts, jusqu’à ce que son petit front se couvre de sueur. Ne pouvant plus contenir sa peur, il sauta de son lit et courut se réfugier dans la chambre de ses parents. Le bambin ne savait pas que ses chers parents avaient changé de chambre. Il se précipita dans la pièce où dormait le Roch Yéchiva, se lova à ses côtés, ferma les yeux et s’endormit paisiblement, un sourire serein aux lèvres. Le Roch Yéchiva sentit une petite main douce le caresser avec tendresse.
Craignant de réveiller l’enfant, il se coucha près de lui et cajola sa petite tête bouclée. Toute la nuit, il prit soin de ne pas changer sa position afin de ne pas réveiller son petit visiteur. Au petit matin, le garçonnet ouvrit les yeux et découvrit à sa grande surprise un étranger à ses côtés, un homme à la barbe blanche et aux yeux brillants d’une lueur douce qui observait son petit visage. Naturellement, l’enfant prit peur et commença à pleurer. Pour le calmer, le Roch Yéchiva fredonna quelques psaumes de ses lèvres souriantes, mais ne parvint guère à rassurer l’enfant. Ce dernier s’enfuit en courant de la chambre avec des cris de peur. Très gêné par cet incident, l’hôte se répandit en excuses devant le saint homme. Mais ce dernier le rassura. Ce n’était pas tous les jours que se présentait à lui l’occasion de faire un acte de ‘hessed envers un frère juif, et encore moins un jeune enfant juif à propos duquel il est dit : Le monde ne se maintient que grâce au souffle des jeunes enfants qui étudient la Torah. Il conclut en le remerciant de lui avoir donné un tel mérite. Finalement, lorsque je fis connaissance de ce fameux Roch Yéchiva, je pus constater qu’il avait prononcé ces paroles avec sincérité et non pas comme une vaine formule de politesse. Le Roch Yéchiva se souciait personnellement de la santé matérielle et spirituelle de chacun de ses élèves, qu’il considérait comme ses propres fils. Il réservait à tous une attention particulière, se souvenant de chaque nom et se penchant avec un vif intérêt sur leur quotidien et celui de leur famille. Il les interrogeait fréquemment sur leur situation financière et s’efforçait de les aider, eux ainsi que tout leur entourage. Un jour, il fut atteint de la maladie de Parkinson.
Ses membres se mirent à trembler de manière incontrôlable et le simple geste de tendre la main pour saluer quelqu’un lui demandait un grand effort, et parfois même l’aide d’un élève. Malgré sa maladie, il venait souvent prier au Kotel. La voiture qui l’y conduisait pénétrait – avec une permission spéciale, bien entendu – le plus proche possible de l’esplanade des hommes. Pour effectuer les quelques pas qui le séparaient du Mur, le Roch Yéchiva demandait l’aide des disciples qui l’accompagnaient. En général, le Roch Yéchiva était entouré d’un grand nombre de jeunes gens. Ces derniers se disputaient presque l’honneur de pouvoir venir en aide à ce géant de la Torah, l’homme qui portait sur ses épaules des mondes d’étude sacrée, leur Rav estimé. Pour une raison que j’ignore, le Roch Yéchiva arriva une fois au Kotel sans ses talmidim, accompagné uniquement de son fils. Mais ce dernier avait du mal à l’aider à marcher. Connaissant le Roch Yéchiva, je me réjouis du mérite qui m’était donné de lui venir en aide, et je courus vers lui. Aucun mot ne suffirait pour décrire le sentiment d’élévation qui s’empara de moi à l’instant où je lui pris le bras. Ses yeux brillaient d’une lueur précieuse et une aura de sainteté entourait son visage marqué par de longues années d’une étude passionnée. J’avais l’impression de soutenir un Séfer Torah. A ce moment, il me sembla revivre un instant d’exaltation de ma jeunesse. C’était à Sim’hat Torah, à la synagogue.
Le Rouleau de la Loi se trouvait dans les mains d’un homme assis sur la banquette de la bima. Soudain, on le désigna comme officiant pour la prière et l’homme chercha autour de lui un fidèle pour lui prendre le Séfer Torah des mains. Comme je me trouvais tout près de lui, il m’appela, malgré mon jeune âge, et me dit avec empressement : «Viens, assieds-toi, allons, allons, assieds-toi ! » Quelques secondes plus tard, et pour la première fois de ma vie, le Séfer Torah se trouvait entre mes mains, et je le serrai avec un mélange de joie et d’émotion. Jamais je n’oublierai les sentiments de sainteté et de force qui m’étreignirent en cet instant. Etrangement, j’eus l’impression de revivre cet épisode précis de ma jeunesse au moment où je soutenais le Roch Yéchiva, pour le conduire devant les pierres du Kotel. Après s’être installé, le Roch Yéchiva émit le souhait de prier Min’ha. Un groupe de dix hommes fut rassemblé et l’office commença. Je sentis alors que ma prière montait droit vers les Cieux, comme si le mérite d’effleurer ce Séfer Torah vivant lui avait donné des ailes. Après la prière, de nombreux visiteurs du Kotel Hamaaravi s’approchèrent du Roch Yéchiva, dans l’espoir de recevoir sa bénédiction. Même ceux qui ne le connaissaient pas faisaient cercle autour de lui.
La vision émouvante du Tsadik souffrant, acceptant son sort avec amour, et la ferveur de sa prière, avaient fait forte impression sur les fidèles.Je me disais que cette âme, purifiée par les souffrances physiques, créait un lien entre le ciel et la terre, et lui donnait l’apparence d’un ange terrestre. Petit à petit, le cercle des fidèles s’agrandit. Le Roch Yéchiva consacra du temps à chacun d’entre eux, demandant leur nom et s’intéressant au sort de leur famille. Puis, de ses lèvres tremblantes, il les bénit un à un, fermant les yeux et mobilisant le peu d’énergie qui restait dans son corps si pur pour prononcer une bénédiction venue du fond du cœur. Ça et là, des visiteurs maintenaient la calotte de carton qu’ils avaient reçue à l’entrée du lieu saint sur leur chevelure désordonnée, et s’approchaient timidement du Sage pour profiter, eux aussi, de sa bénédiction. Le fils du Rav se tenait à ses côtés et avec une délicatesse typiquement juive, lui transmettait les requêtes de ces personnes – jusqu’à ce qu’il sente que les forces de son père l’abandonnaient et qu’il n’avait plus la capacité physique de bénir. Malgré le refus de son père, le fils me demanda de l’aider à le reconduire à la voiture. Mais la foule des fidèles qui s’agglutinaient au côté du Tsadik ne nous facilitait pas la tâche. Je demandai l’aide de quelques responsables et agents de sécurité, et nous pûmes ainsi nous
frayer un chemin jusqu’au véhicule garé en contrebas. De nombreuses personnes entouraient la voiture, dans l’espoir de recevoir une bénédiction du Rav. Certains réussirent, d’autres n’eurent pas cette chance, car déjà la portière se refermait et la voiture démarrait. Cette fois encore, il fallut l’aide des policiers pour écarter la foule des badauds et permettre au véhicule de quitter l’esplanade du Kotel. Après quelques minutes d’agitation et à notre grand soulagement, la barrière de sécurité se leva et laissa passer la voiture du Tsadik. Je remerciai les responsables et les policiers de leur aide si précieuse. Quel ne fut pas mon étonnement lorsque je vis la voiture du Roch Yéchiva faire marche arrière et se diriger à faible allure dans la direction du Kotel. Peut-être avaient-ils oublié quelque chose, mais je ne voyais rien qui soit susceptible de leur appartenir.Ma surprise grandit encore quand je m’aperçus que c’était vers moi qu’ils s’avançaient. Le véhicule s’arrêta à mes côtés et le fils du Roch Yéchiva me dit à travers la vitre baissée : « Le Roch Yéchiva n’est pas d’accord de sortir d’ici avant de vous avoir remercié pour votre aide. » J’étais ébahi. Etait-il nécessaire de me remercier ? N’était-ce pas plutôt moi qui devais lui être reconnaissant de m’avoir donné un tel mérite ! Mais le fils insista : « Je vous demande de passer la tête à travers la vitre. Le Roch Yéchiva n’entend pas se suffire de mes paroles, il désire vous remercier personnellement. » N’ayant pas le choix, je me penchai par-dessus la vitre, et de sa faible main, le Roch Yéchiva me serra la main avec force, un sourire bienveillant éclairant son
visage. Puis, fidèle à son habitude, il me demanda mon nom et s’enquit de mon bien-être et de celui de ma famille. Il me parla longuement, et me remercia avec effusion, et seulement après cela, la vitre se ferma et la voiture reprit la route. Jusqu’à ce jour, je peux encore sentir la main si douce du Roch Yéchiva et tout l’amour et la chaleur qui émanaient de ce geste.Je ne me souviens ni de sa faiblesse, ni de ses tremblements. Seulement de la tendresse et de l’affection qu’il ressentait pour chaque Juif. עץ חיים היא למחזיקים בה ותמכיה מאושר, דרכיה דרכי נועם וכל נתיבותיה שלום.« C’est un arbre de vie pour tous ceux qui s’en rendent maîtres. S’y attacher c’est s’assurer la félicité ; ses voies sont des voies pleines de délices, et tous ses sentiers aboutissent au bonheur. » « Heureux le peuple qui a un tel sort, heureux le peuple dont Hachem est le D.»
Cet extrait est issu du livre « le Kotel, mur de tous les miracles » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation.