« Ya’aqov s’installa dans la terre de son père, dans le pays de Cana’an » (Béréchit 37,1)
« Ya’aqov aspirait à connaître la sérénité » (Midrach)
Visiblement, note rav Yérou’ham Leibovitz (Da’at ‘Hokhma ouMoussar), le désir de sérénité de Ya’aqov était dû à son formidable niveau moral. Ya’aqov était en effet « l’homme de la tente », c'est-à-dire qu’il redoutait de tout son être les influences du monde extérieur. Pour se préserver quelque temps de toute atmosphère délétère, il vécut d’ailleurs cloîtré quatorze années durant dans une maison d’étude. Cette soif de sérénité n’était donc motivée chez lui que par les aspirations morales qui l’animaient. Et pourtant, cela lui fut reproché !Cette réprobation pourrait s’expliquer par l’idée suivante : le Saint béni soit-Il scrute et examine le cœur des hommes, et y décèle les oscillations même les plus ténues. Or dans la demande de Ya’aqov, D.ieu remarqua un subtil – mais bien réel – désir de bien-être personnel. Compte tenu de Son extrême intransigeance envers les Justes – « à la mesure de l’épaisseur d’un cheveu » –, ce sentiment latent fut retenu à l’encontre du troisième de nos patriarches.
A ce sujet, Rabbénou Tam écrit dans son Séfer haYachar : « Chaque mois, chaque jour et chaque heure, tout homme doit se tenir prêt à recevoir des épreuves. A tout moment, on doit rester conscient du fait que si elles ne sont pas venues le jour même, c’est qu’elles surviendront le lendemain (…) afin que l’on soit prêt à les recevoir. Telle est l’attitude du Juste, parce qu’il sait que ce monde est un théâtre de tourments. » La conscience de cette réalité amena Rabbi ‘Aqiva à déclarer : « Toute ma vie, je m’attristais en lisant le verset : “Tu aimeras l’Eternel de toute ton âme“ – c'est-à-dire même s’Il te prend ton âme – et je me disais : “Quand viendra enfin le moment où je pourrai l’accomplir !“ » C’est pourquoi l’aspiration de Ya’aqov à la quiétude – c'est-à-dire son refus de subir des épreuves – était condamnable.
La vie des grandes figures de notre peuple nous enseigne que leurs plus brillantes réussites survinrent précisément dans un contexte d’épreuves et de difficultés. Chacun peut d’ailleurs vérifier ce phénomène personnellement : si nous nous contentons d’étudier et de pratiquer les mitsvot uniquement lorsque la vie nous sourit, mais que dès l’instant où des problèmes surgissent, nous cessons aussitôt notre combat, on ne peut évidemment pas prétendre être dévoués au service du Créateur. Cette constatation, bien qu’indéniable, est malheureusement trop souvent occultée. Et pour reprendre les termes du Ram’hal dans la préface du Messilat Yécharim : « Plus un fait est manifeste, plus on a tendance à le négliger »… Or en ce qui concerne la question abordée ici, la plupart des hommes s’avèrent être proprement incultes : pour beaucoup, l’impératif de la Tora et des mitsvot ne débute qu’à partir du moment où ils connaissent le bonheur et la quiétude. Au moindre écueil, ils s’en prennent au monde entier et s’exclament dans leur indignation : « Comment peut-on respecter la Tora dans ces conditions ? »Bien au contraire, l’essentiel de notre travail spirituel réside précisément dans ces périodes de difficultés. Plus l’obstacle est important, plus l’effort de l’homme pourra être apprécié à sa juste valeur. C’est cette réalité que Job (5,7) résume avec tant de perspicacité : « L’homme naît pour le labeur. »
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.