« Convoque le peuple entier, hommes, femmes et enfants, ainsi que l’étranger qui est dans tes murs, afin qu’ils entendent, s’instruisent et révèrent l’Eternel votre D.ieu » (Dévarim 31,12)
« Rabbi El’azar ben ‘Azaria commente ainsi ce verset : “Convoque le peuple“ – si les hommes venaient pour apprendre et les femmes pour entendre, que venaient y faire les enfants ? Offrir du mérite à ceux qui les amenaient. » (‘Haguiga 3)
Dans la Mékhilta (Chémot 16), il est rapporté que lorsque Rabbi Yéhochoua’ entendit cette explication, il en fit les plus hauts éloges et déclara : « J’ai près de soixante-dix ans, et jamais je n’avais entendu cet enseignement. Sois heureux, Avraham notre ancêtre, car El’azar ben ‘Azaria fait partie de ta descendance. Notre génération n’est donc pas orpheline, car Rabbi El’azar ben ‘Azaria vit en son sein ! »Rav ‘Hanokh Erentrau note que la joie particulière qu’éprouva Rabbi Yéhochoua’ – ben ‘Hanania de son nom complet – en entendant cet enseignement, n’est pas sans lien avec ce que son propre maître, Rabbi Yo’hanan ben Zakaï, déclara à son sujet : « Rabbi Yéhochoua’ ben ‘Hanania, heureuse soit celle qui l’a enfanté ! » (Pirqé Avot 2,8). Qu’est-ce que la mère de Rabbi Yéhochoua’ avait-elle de si particulier ? Rav ‘Ovadia de Barténoura écrit dans son commentaire : « [Enceinte], elle se rendait dans toutes les maisons d’étude de sa ville et disait aux étudiants : “Je vous en prie ! Implorez la miséricorde divine pour que cet enfant que je porte dans mon sein devienne un érudit.“ Et depuis le jour de sa naissance, son berceau ne quitta jamais les maisons d’étude, pour que ses oreilles ne perçoivent aucune autre parole que celles de la Tora. » Il est donc fort probable que si les explications de Rabbi El’azar ben ‘Azaria suscitèrent tant de joie chez Rabbi Yéhochoua’, c’est parce qu’elles confortaient l’attitude de sa mère, en l’appuyant sur un verset de la Tora…
Lorsque Rabbi Yéhochoua’ fit l’éloge de Rabbi El’azar ben ‘Azaria, il déclara : « Sois heureux, Avraham » – réitérant l’expression que son maître avait formulée au sujet de sa propre mère : « Heureuse soit celle qui l’a enfanté. » La mention du patriarche dans ce contexte apparaît comme faisant écho à ce qui est dit à son sujet : « Car Je sais qu’il prescrira à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de l’Eternel » (Béréchit 18,19). Autrement dit, Avraham fut le premier personnage à accorder une importance toute particulière à l’éducation des enfants. Rabbi El’azar ben ‘Azaria se révéla en être le digne descendant, car lui aussi, par son interprétation du verset, mit l’accent sur ce principe. Ceci nous montre combien l’âme du nourrisson est sensible à son environnement, et quels impacts celui-ci aura sur tout son avenir. En effet, il est fort improbable qu’on amenât les enfants à Jérusalem, lors de ces convocations particulières, uniquement parce qu’il n’y avait personne pour les surveiller. Au contraire, il y avait un but précis à cela : « Offrir du mérite à ceux qui les amènent. » Lorsque des parents aspirent à éduquer leurs enfants selon la voie de la crainte du Ciel, ils peuvent découvrir la formidable influence qu’ont les paroles de Tora sur leur âme dès leur plus jeune âge.
Il semble évident que pendant les toutes premières années de la vie – quand le nourrisson ignore encore tout des concepts de bien et de mal –, l’éducation qu’on lui donne ne correspond pas encore à la notion de « ‘hinoukh » dont parle la Tora. Celle-ci ne saurait en effet se cantonner au seul domaine émotif de l’enfant. Le ‘hinoukh consiste à lui faire acquérir les bases du savoir qui conditionneront ses décisions futures, et à lui apporter une instruction qui sollicitera toutes ses capacités. Néanmoins, nous révèle Rabbi El’azar ben ‘Azaria, il est possible, dès son âge le plus tendre, de poser les principes de sa compréhension future – comme une introduction à sa véritable formation. En matière d’éducation, on peut distinguer trois étapes différentes. La première est celle enseignée ici, qui consiste à laisser l’enfant s’imprégner des paroles de Tora dès sa période embryonnaire. La suivante apparaît dans un verset explicite : « Enseignez-les à vos enfants en les répétant sans cesse » (Dévarim 11,19) – que le Sifri interprète ainsi : « C’est d’ici que les Sages déduisirent que lorsqu’un enfant commence à parler, son père doit s’adresser à lui en hébreu et lui enseigner la Tora. » L’éducation à cet âge correspond à ce que disent nos Sages sur l’observance de la Tora de manière générale : « Que l’homme étudie la Tora et respecte les mitsvot même de manière intéressée, car à travers elle, il en viendra à la respecter de manière désintéressée. » Cela consiste également à inculquer aux enfants la capacité d’accomplir sans pour autant comprendre la signification des choses, à l’image de nos ancêtres qui proclamèrent sur le Sinaï : « Nous ferons et nous entendrons. » La troisième étape consiste quant à elle à dépasser ce niveau, et à réaliser précisément dans une dynamique de compréhension et d’assimilation intellectuelles.Il se pourrait d’ailleurs que ces trois niveaux d’éducation apparaissent en filigrane dans notre verset, cité en exergue. « Afin qu’ils entendent » est une référence aux nourrissons, auxquels nous devons faire entendre le « son » de l’étude la Tora, afin que leurs oreilles s’en imprègnent. « Afin qu’ils s’instruisent » évoque la deuxième étape, lorsque avec les premiers mots de l’enfant commence son instruction proprement dite. Et enfin, lorsqu’il atteint l’âge de la majorité religieuse, il lui incombe alors de « révérer l’Eternel votre D.ieu, et s’appliquer à pratiquer toutes les paroles de cette Tora ».
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.