« A présent, écrivez pour vous ce Cantique, qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël et qu’on le mette dans leur bouche » (Dévarim 31,19)
« Rabbi ‘Aqiva dit : D’où savons-nous que le maître est tenu d’enseigner à son élève jusqu’à ce qu’il ait compris sa leçon ? Du verset : “Qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël.“ Et d’où savons-nous qu’il faut lui enseigner jusqu’à ce qu’il maîtrise ces enseignements ? Du verset : “Qu’on le mette dans leur bouche.“ Rabbi Préda avait un élève à qui il devait répéter ses leçons quatre cents fois pour qu’il les assimile. Un jour [au milieu d’un cours], on fit appeler Rabbi Préda pour les besoins d’une mitsva. Il poursuivit sa leçon comme de coutume, mais ce jour-là, l’élève ne parvint pas à la comprendre [même après quatre cents fois]. Le maître demanda : “Que se passe-t-il aujourd’hui ?“ L’élève répondit : “Depuis qu’on est venu vous appeler, je n’arrive plus à me concentrer. A chaque instant, je me dis : Voilà, le maître va partir.“ Rabbi Préda lui dit : “Concentre-toi et je t’expliquerai ce que tu ne comprends pas.“ Il répéta alors sa leçon quatre cents fois supplémentaires. A ce moment, une Voix sortit du Ciel et interrogea le maître : “Que souhaites-tu comme récompense : qu’on t’offre quatre cents ans de vie supplémentaires, ou bien que toi et toute ta génération méritiez le Monde futur ?“ Rabbi Préda répondit : “Que moi et toute ma génération méritions le Monde futur !“ Le Saint béni soit-Il déclara alors : “Qu’on lui offre les deux récompenses !“ » (‘Erouvin 54b) Rav Yossef Salant s’interroge sur ce texte : pourquoi D.ieu accorda-t-Il à Rabbi Préda une récompense double en contrepartie de son choix ? De prime abord, celui-ci ne paraît pas particulièrement remarquable : toute personne sensée comprend que la vie éternelle du Monde futur est préférable à toutes les jouissances d’ici-bas.
Nous retrouvons des circonstances semblables au sujet du roi Chlomo. Après avoir été intronisé, D.ieu lui apparut et annonça : « Demande : que veux-tu que Je t’accorde ? » Le jeune roi répondit : « Donne à ton serviteur un cœur intelligent, capable de juger Ton peuple, et sachant distinguer le bien du mal. » En réponse, le Saint béni soit-Il déclara : « Parce que tu as fait cette demande, parce que tu n’as demandé ni de longs jours, ni des richesses ni la vie de tes ennemis, mais seulement l’intelligence afin de savoir rendre la justice, Je vais donc réaliser ton souhait : Je te donnerai un tel esprit de sagesse et d’intelligence […] et de plus, Je te donnerai ce que tu n’as pas demandé : la richesse, la gloire, etc. » (Mélakhim I 3). La même question apparaît ici : par quel mérite Chlomo reçut-il aussi bien la sagesse qu’il avait appelée de ses vœux, que tout ce qu’il n’avait pas réclamé ? Il convient cependant de noter une différence de taille entre Chlomo et Rabbi Préda : dans le verset 7 de ce chapitre du Livre des Rois, il apparaît en effet que le roi était alors un « jeune homme ». Selon nos Sages, cela signifie qu’il n’avait que douze ans lors de son intronisation. Pour un adolescent, il était certainement très méritoire de demander la sagesse plutôt que la richesse ou les honneurs, ce qui explique la réaction de D.ieu à son égard. Rabbi Préda, quant à lui, était déjà avancé en âge au moment de cette anecdote, et rien ne semble justifier qu’il méritât un tel privilège.
Visiblement, la réponse réside précisément dans le haut niveau spirituel atteint par ce Sage. Rabbi Préda servait le Créateur de façon totalement désintéressée, au point que chez lui, chaque mitsva réalisée le créditait de formidables trésors spirituels. Pour reprendre l’expression des Pirqé Avot (4,17), une heure passée dans ce monde à accomplir des mitsvot et des bonnes actions était, pour un Sage de cette envergure, supérieure à toute la vie du Monde futur. De ce fait, il aspirait certainement plus que tout à mériter quatre cents ans de vie supplémentaires, pour pouvoir les exploiter au service du Saint béni soit-Il. Pourtant, il n’en fit rien. Pourquoi ? Parce que selon les termes de son choix, il fit mériter la vie éternelle « à lui-même et à toute sa génération ». Il renonça à toutes les dimensions spirituelles qu’il aurait pu acquérir en plusieurs siècles de vie – qui correspondaient pour lui à des bienfaits éternels –, par pure bonté pour ses semblables. Et parce qu’il fit passer l’intérêt collectif avant ses ambitions personnelles, Rabbi Préda reçut une récompense double. D.ieu lui accorda ces deux privilèges, car son sacrifice pour ses contemporains ne justifiait pas qu’il renonce aux fabuleux avantages qu’offre pareille longévité.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.