« Car je ne puis agir avant que tu n'y sois arrivé » (Béréchit 19,22)
« Telle fut la punition des anges : parce qu’ils avaient déclaré qu’eux-mêmes détruiraient la ville, en faisant dépendre la chose de leur propre pouvoir, ils ne purent quitter l’endroit avant d’avoir été contraints de déclarer que la décision ne dépendait pas d’eux. » (Rachi)
De prime abord, il convient de comprendre en quoi le fait que l’un des anges se soit vu contraint d’affirmer « Je ne puis agir » constitua une punition pour eux, puisqu’il n’exprima par ces mots qu’une évidence incontestable.Dans son Da’at Tora, rav Yérou’ham Leibovitz de Mir résout cette difficulté à l’aide de l’image suivante : lorsqu’un maître est désireux de confier la gestion de ses biens à son serviteur, la passation de pouvoir peut se dérouler de deux manières différentes : 1) Soit le serviteur montre que chacune de ses actions est effectuée au nom de son maître. 2) Soit le maître peut proclamer avoir désormais habilité son serviteur d’une autorité sur tous ses biens, comme si ce dernier en était le légitime propriétaire.Il va sans dire que si le serviteur préfère pour sa part la seconde formule, le maître penchera certainement pour la première. Mais en tout état de cause, ce dernier se doit, en vertu des convenances, d’offrir à son serviteur le sentiment qu’il est lui-même le maître des biens qu’il administre. Et pour sa part, le serviteur doit continuer à signaler, dans l’accomplissement de son service, que son maître reste le véritable propriétaire.
Dans cet ordre d’idées, nous pourrons comprendre également la relation qui unit le Créateur aux êtres de Sa Création. Dans Son infinie bonté, le Saint béni soit-Il donna au monde une structure telle qu’aux yeux de l’homme, celui-ci pense diriger lui-même le monde selon sa volonté. Mais s’Il le souhaitait, D.ieu aurait pu faire éclater au grand jour l’emprise qu’Il exerce en sa qualité de Maître absolu de toute l’existence, sans laisser aux hommes la possibilité de croire qu’ils ne dépendent pas de Lui. C’est donc par une infinie bonté que D.ieu Se voile au regard de l’homme, laissant à celui-ci le sentiment qu’il administre lui-même le monde. Mais dans chacune de ses démarches, il incombe à l’homme de témoigner de l’emprise absolue du Saint béni soit-Il. Selon nos Sages, le verset : « Car vous êtes le moindre de tous les peuples » (Dévarim 7,7) s’explique précisément en ce sens : « Le Saint béni soit-Il parla ainsi aux enfants d’Israël : Je vous chéris, car même au moment où Je vous accorde de la grandeur, vous vous diminuez devant Moi. Ainsi, J’ai donné la grandeur à Avraham, et il Me répondit : “Je ne suis que poussière et cendre” » (‘Houlin 89a).
Par conséquent, la punition des anges, contraints de déclarer « Je ne puis agir », nous révèle la mesure de leur faute qui fut de s’attribuer le pouvoir de détruire la ville, en disant : « Nous allons détruire cette contrée. » Or, bien qu’il est évident que le Saint béni soit-Il accorde Lui-même aux êtres de la Création un sentiment de puissance, les anges fautèrent pour avoir trop affirmé leur indépendance. C’est la raison pour laquelle en disant « Je ne puis agir », ils reconnurent avoir outrepassé leur rôle, et subirent en conséquence une punition mesure pour mesure.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.