« Il passa la nuit dans ce lieu » (Béréchit 28,11)
« “Dans ce lieu“ – cette expression est restrictive : il dormit en ce lieu, mais pendant les quatorze années qu’il servit dans la maison de ‘Ever, il ne dormait pas la nuit, car il s’adonnait à l’étude de la Tora. » (Rachi)
Même cette nuit de sommeil – la première après quatorze années de veille ! – Ya’aqov ne la passa pas dans un lit confortable, sous une chaude couverture. Il dormit à même le sol, posant la tête sur une simple pierre rugueuse. De là nous concluons que pendant les quatorze années précédentes, il ne s’était jamais accordé un seul instant de repos – même en se couchant par terre ! Comment la chose est-elle raisonnablement envisageable ? Rav ‘Hayim Chmoulevitz (Kovets Si’hot, 5732, page 55) explique que cette conduite ne relève nullement du miracle. Simplement, Ya’aqov était parvenu à focaliser l’ensemble de ses forces vers son objectif. Ce prodige doit nous faire prendre conscience du fait que tout homme, s’il parvient à mobiliser toutes ses capacités, est en mesure d’accomplir d’authentiques merveilles. Ce phénomène survient notamment dans des situations extrêmes : lors d’un incendie par exemple, des hommes se révèlent subitement capables de soulever des objets excessivement lourds, qui d’ordinaire ne peuvent être portés que par plusieurs personnes.
C’est dans le même esprit que le ‘Hafets ‘Hayim interprète le verset des Psaumes (119,162) : « Je me réjouis de Tes paroles comme quelqu’un qui découvre un riche trésor. » Le roi David nous apprend ici qu’il étudiait la Tora comme un homme en quête d’un fabuleux trésor. Si l’on révélait à quelqu’un l’emplacement d’un coffre regorgeant de pierres précieuses et de joyaux, et qu’on lui annonçait qu’il ne disposait que d’un court délai pour le trouver, il ne s’accorderait assurément aucun répit avant d’avoir atteint l’endroit indiqué, et il mettrait toutes ses forces pour s’approprier un maximum de richesses. Or, c’est précisément dans cet esprit que David s’adonnait à l’étude de la Tora, tant il était habité par la conscience qu’« une heure de mitsvot et de bonnes actions dans ce monde-ci vaut davantage que toute une vie dans le Monde futur. »Ayant découvert en lui ces forces inouïes, Ya’aqov parvint ainsi à étudier quatorze ans dans la yéchiva de Chem et ‘Ever sans s’accorder le moindre repos.
Plus tard dans notre paracha, nous retrouvons le même phénomène. Lorsque Ya’aqov atteint ‘Haran, il apprend des bergers qu’une grosse pierre couvre la margelle du puits et ne peut être soulevée « avant que tous les troupeaux ne soient rassemblés ». Pourtant, « Ya’aqov s'avance et fait glisser la pierre de dessus la margelle du puits » – et ceci, ajoute Rachi, « comme un homme qui ferait glisser le couvercle d’un récipient, pour te montrer combien sa force était grande ». De prime abord, nous sommes portés à en déduire que Ya’aqov était effectivement doté d’une force prodigieuse. Pourtant, dans la prière pour la pluie, que l’on récite à Chemini ‘Atséret, nous évoquons cet épisode en ces termes : « Il affermit son cœur et il fit glisser la pierre de dessus le puits » (rite ashkénaze). Il s’avère par conséquent que la force phénoménale du patriarche provenait non de ses capacités physiques, mais précisément du pouvoir de son cœur. Pour preuve, nous demandons également dans cette prière de « ne pas nous refuser la pluie par le mérite de cet homme ». Or, il va sans dire que l’unique force susceptible d’amener un tel mérite est celle qui provient de l’affermissement du cœur.En conclusion, il apparaît que tout homme détient au fond de lui des capacités inconnues, qu’il est en mesure de dévoiler par le seul pouvoir de sa volonté.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.