Vayetse. Une justice précise comme l’épaisseur d’un cheveu

« Léa avait les yeux faibles…» (Béréchit 29,17)

« Elle pensait être destinée à ‘Essav, c’est pourquoi elle ne cessait de verser des larmes. Les gens disaient en effet : “Rivqa a deux fils, et Lavan deux filles : que l’aînée soit donnée au plus grand, et la cadette au plus jeune.“ » (Rachi au nom du traité Baba Batra 123)

Le ‘Yioun Ya’aqov (dans le Ein Ya’aqov) révèle au nom de nos Sages que Ya’aqov fut châtié pour avoir refusé la main de sa fille Dina à ‘Essav, le privant ainsi d’une occasion de se repentir. Or, si Léa avait accepté d’épouser ‘Essav, elle aussi aurait été en mesure de l’encourager à la repentance. La question se pose donc à son sujet : pourquoi son refus ne lui fut-il pas également reproché ? Dans son Darké Moussar, rav Ya’aqov Neuman explique que s’il convient de s’éloigner des renégats pour se garder de leur mauvaise influence, cette règle de conduite ne s’applique cependant pas à Ya’aqov. Compte tenu de son haut niveau spirituel – n’est-il pas le plus éminent des patriarches ! – Ya’aqov était de taille à dépasser ce genre de considérations. Pour lui, refuser à son frère l’opportunité de se repentir par le biais d’une alliance avec sa fille est jugé comme un manquement, exigeant une expiation. Pour Léa en revanche, cette même conduite ne lui fut pas reprochée, car un acte perçu comme une faute chez un Juste de l’envergure de Ya’aqov, peut être considéré chez un autre comme une véritable mitsva.

Dans cet ordre d’idées, nous trouvons dans le vidouy [la confession] de Rabbénou Nissim Gaon l’énumération de nombreuses fautes qui étaient à ses yeux si graves que même si « le Guéhinom finissait par s’éteindre, elles perdureraient encore ». Hélas, nous sommes bien incapables de nous reconnaître autant de péchés… Ce paradoxe s’explique par l’envergure spirituelle de Rabbénou Nissim Gaon, qui lui permettait de déceler chez lui bien plus de fautes que nous-mêmes. Ainsi, s’il lui arrivait un seul instant d’oublier la présence de son Créateur, il considérait cela comme un manquement alors qu’à notre niveau, cet « écart » est totalement négligeable. C’est ainsi que ce qui, pour Ya’aqov, était une transgression, devenait chez Léa une mitsva, car son refus de s’unir à ‘Essav lui permit d’épouser le père de la nation juive, et de donner naissance à une postérité de rois et de prêtres.
Par ailleurs, il convient de remarquer que Ya’aqov avait refusé la main de sa fille à son propre frère, tandis que Léa n’avait éconduit que son cousin. Or, dénier un acte de charité à un frère – pour quelque honorable motif que ce soit – est bien plus délicat que de priver un parent plus éloigné d’un bienfait. De ce fait, Léa n’était pas tenue de mettre sa personne en danger pour sauver ‘Essav du déclin spirituel.

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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