« Yossef attela son char (…) et il apparut à lui » (Béréchit 46,29)
« “Il apparut à lui“ – Yossef se montra à son père. » (Rachi)
Dans son commentaire, le Ramban écrit qu’il ne comprend pas la pertinence de ces mots : « Il apparut », attendu que le père et le fils se virent assurément lorsqu’ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Selon rav Yéhouda Leib ‘Hasman (Or Yahel tome III), c’est ce même problème qui embarrassait Rachi, et qui l’incita à commenter le verset par ces mots : « Yossef se montra à son père. » Séparé tout jeune de sa famille, isolé et sans nouvelles de son père pendant vingt-deux années d’exil, Yossef vécut certainement meurtri par cet éloignement forcé. Il devait assurément lui tarder de revoir Yaacov et de fait, il ne manquait jamais de questionner ses frères à chaque occasion qui se présentait : « Mon père est-il encore en vie ? » Même lorsqu’il se révéla à eux, son premier souci fut d’entendre encore une fois des nouvelles de son père : « Je suis Yossef ! Mon père vit-il encore ? » A l’approche de leurs retrouvailles, Yossef était sans conteste submergé par l’émotion de revoir enfin son cher père.
On peut aisément s’imaginer combien il avait dû attendre, tout au long des deux dernières décennies, le moment où il pourrait enfin l’enlacer, et retrouver le père de la nation juive qu’il chérissait par-dessus tout. On peut par ailleurs présumer que la nostalgie de Ya’aqov à l’égard de Yossef, « le fils de sa vieillesse », n’était pas moindre. Combien de larmes n’avait-il pas versées pour lui pendant ces vingt-deux années ? Combien la douleur et le chagrin l’avaient-ils envahi pendant toute cette période où il le croyait mort ? Or voilà qu’arrive enfin le moment tant attendu : « Je puis mourir à présent, parce que j’ai revu ton visage ! »
Au moment où Yossef part au-devant de son père, deux motivations distinctes l’incitent à se rendre à cette rencontre : 1. Il voulait lui-même revoir son père. 2. Il voulait aussi « se montrer » à lui, c'est-à-dire permettre à son père de le revoir.
Néanmoins, combler ces deux désirs était pour lui chose impossible : ils étaient chacun d’une intensité telle qu'un seul d'entre eux suffisait à submerger entièrement son cœur et son âme.Que fit donc Yossef ? Le verset nous apprend qu’il « attela son char, alla au-devant d’Israël son père à Gochen » – c'est-à-dire qu’il brida le tumulte de ses pensées, et les orienta dans l’intention unique d’honorer son père, et de permettre à ce dernier de le revoir. En exerçant sur sa personne une telle inhibition, il libéra son cœur de tous ses sentiments personnels, et leur intima de s’effacer devant l’impératif de « se montrer » à son père. C’est pourquoi le verset souligne que Yossef « apparut à lui » – c'est-à-dire, selon Rachi, qu’il « se montra à son père » – pour signaler qu’il parvint à dominer l’élan enflammé de ses sentiments pendant toute la durée de leurs retrouvailles, depuis l’instant où il attela son char jusqu’à l’heure de la rencontre proprement dite. Seul des hommes de l’envergure de Yossef sont capables de faire montre d’une telle maîtrise de soi, et de surmonter des épreuves d’une telle intensité.
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.