« Quand Rabbi ‘Aqiva lisait ce verset, il pleurait en disant : Si dans le cas où un homme comptait manger de la graisse permise, et où il a finalement consommé une graisse interdite, la Tora dit à son sujet : “Incertain du délit, il sera sous le poids d’une faute“, lorsque quelqu’un consomme délibérément une graisse défendue, combien sa faute sera-t-elle redoutable !
Issi ben Yéhouda dit : “Incertain du délit, il sera sous le poids d’une faute“ – ce verset est matière à s’attrister pour tous les hommes sensibles… » (Qidouchin 81b)
Quel est donc l’objet de toute cette tristesse ? C’est l’immense responsabilité qui pèse sur les épaules des êtres humains, explique rav Yé’hezqel Avramski, dans la préface de son ‘Hazon Yé’hezqel (sur la Tossefta Témoura). Parce que dans ce verset, il apparaît que chacun devra rendre des comptes pour tout ce qu’il a accompli même sans le savoir…
Représentons-nous la scène : un homme est assis à table, certain de n’avoir devant lui que des aliments permis à la consommation, comme des graisses autorisées. Mais à la fin du repas, un doute surgit dans son cœur : peut-être ces graisses étaient-elles en fait de celles que la Tora interdit ? C’est à ce cas que fait référence notre verset, en stipulant que cet homme devra amener au Temple un sacrifice d’Acham [offrande délictive] « pour s’épargner les épreuves consécutives à la faute ». Pourquoi mériterait-il ces souffrances ? Parce qu’il n’a pas manifesté suffisamment de vigilance, parce qu’il n’a pas examiné convenablement l’origine de sa nourriture, et parce qu’il s’est montré un peu trop permissif avec lui-même.Lorsqu’on est juif, on doit être conscient du fait que l’on est au cœur du projet divin. On doit savoir que D.ieu s’adressa à nous face à face sur le mont Sinaï, et que l’on est de ce fait presque l’égal des êtres divins. A cet égard, nous ne pouvons rien accomplir à la légère, sans prêter attention à la nature et au sens de nos actes. Chaque action, avant d’être réalisée, doit être passée au peigne fin, scrutée dans ses moindres détails jusqu’à en connaître exactement la portée. Car si celui qui faute par mégarde s’était convenablement informé et avait posé les bonnes questions, il n’en serait certainement jamais venu à trébucher.
C’est vis-à-vis de ce manque de vigilance qu’une expiation est requise. Bien plus, la Halakha stipule que si une source d’impureté est entrée en contact avec un élément sacré, une expiation est requise même si l’on n’en a été informé ni avant ni après ! Bien que seul D.ieu ait connaissance de cette faute, il est néanmoins nécessaire d’offrir, pendant les fêtes et à chaque Roch ‘Hodech, des sacrifices spécifiques qui expieront ces fautes inconnues de tous…
L’ouvrage HaRichon LéChochélet Brisk cite un récit extrait du HaDracha BéIsraël, évoquant l’immense crainte du Ciel qui animait rav Yossef Dov Soloveitchik, qui fut notamment rav de Slotsk.Rav Israël Isser Shapira se trouvait un jour chez son illustre beau-frère, rav ‘Hayim Soloveitchik. Soudain, il entendit son hôte pousser un profond soupir et murmurer : « Comment, comment peut-on acquérir la crainte du Ciel qu’avait mon père zatsal ? » Il répéta ces mots à plusieurs reprises, visiblement troublé par ses pensées. Intrigué, rav Shapira le questionna à ce sujet et, en guise de réponse, il entendit le récit suivant :
« Laisse-moi te donner un exemple de la crainte de D.ieu qui animait mon père. Un jour, nous étions assis tous les deux dans la maison d’étude de Slotsk, pour le cours qu’il me donnait quotidiennement. C’était une chaude journée d’été, et pendant que nous étions plongés dans notre étude, mon père retira sa veste et son chapeau. Soudain, un boucher entra dans la salle, et se mit à injurier mon père comme s’il était le dernier des vauriens. Entre autres griefs, il l’accusait d’avoir corrompu le jugement qui l’avait opposé, la veille, à un autre boucher de la ville. A ses dires, il avait été déclaré coupable car son antagoniste avait soudoyé mon père.
En entendant ces accusations, mon père se dressa de toute sa hauteur, remit sa veste et son chapeau et garda le silence. Le boucher, voyant le rav dans cette posture contrite, reprit ses injures de plus belle, offensant tous les Rabbanim et traitant mon père de “’havernik“ – expression désignant une personne malhonnête. Il s’emporta jusqu’à lever la main sur lui et à le menacer de le rouer de coups. Alors que cet homme continuait de plus belle, mon père restait stoïque et maître de lui.Au bout d’un moment, le boucher se dirigea vers la sortie, tout en continuant à débiter ses insultes. Mon père le suivit jusqu’à la porte et, sans répondre à ces imprécations, sans blâmer son agresseur ni même chercher à se justifier, il se contenta de murmurer les mots suivants : “Je te pardonne de tout cœur, car nul ne peut être tenu responsable lorsqu’il est confronté à une situation douloureuse.“
Le lendemain, alors que ce même boucher convoyait des taureaux dont il s’était porté acquéreur, l’un d’eux s’emporta soudain, se jeta sur lui et le tua. Lorsque ces faits furent rapportés à mon père, il en fut profondément bouleversé. Il me répéta plusieurs fois : “Je crains d’avoir causé la mort de cet homme, pour avoir été intransigeant à son égard !“ Je lui dis alors : “Mais, père, vous lui avez pardonné ses insultes.“ “Comment le sais-tu ? me rétorqua-t-il. Et à quel moment lui ai-je pardonné ?“ Je lui répondis : “Lorsqu’il s’est dirigé vers la porte de la maison d’étude, vous l’avez suivi et je vous ai entendu, de mes propres oreilles, déclarer à plusieurs reprises que vous lui pardonniez !“
Mon père me pressa alors de questions, pour s’assurer que je n’inventais pas cela dans le seul but de le calmer. Et c’est seulement après lui avoir certifié que j’avais bien entendu ces mots, lui montrant même l’endroit précis où il s’était tenu au moment où il les prononça, qu’il finit par se laisser convaincre et se calmer un peu. Malgré tout, il resta profondément affligé par ces faits. Il prit part à la procession funèbre de cet homme et fondit en larmes devant sa tombe. En outre, il prit sur lui de réciter le qaddich pendant onze mois, et d’étudier quotidiennement des michnayot pour le mérite de son âme. Bien plus, chaque année, le jour anniversaire du décès de ce boucher, il observait un jeûne, récitait le qaddich et étudiait des michnayot, exactement comme il le faisait pour son propre père, et ce, jusqu’au dernier jour de sa vie. »
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.