« Yitro frémit pour tout le bien » (Chémot 18,9)
« “Yitro frémit“ – Rav et Chmouel débattent concernant ce verset. Rav dit : Cela signifie que Yitro fit passer une lame effilée sur sa peau [c'est-à-dire qu’il se circoncit pour se convertir – Rachi]. Chmouel dit : Cela signifie que toute la peau de son corps se remplit de stries [c'est-à-dire de nombreuses rides, car le sort subi par les Egyptiens lui causa une grande peine]. Rav dit : C’est en ce sens que les gens disent : “Devant un converti, même après dix générations, ne raille jamais un Araméen en sa présence.“ » (Sanhédrin 94)
Plus loin dans la paracha, nous voyons que Yitro rendit merveilleusement grâce à D.ieu pour les prodiges accomplis : « Loué soit l’Eternel Qui vous a sauvés de la main des Egyptiens et de celle de Pharaon… » (verset 10). Selon nos Sages, Yitro s’illustra particulièrement par ces mots : « Rav Papouss dit : Ce verset contient un reproche implicite à Israël, parce qu’ils étaient six cent mille hommes et pas un seul d’entre eux ne rendit grâce à D.ieu jusqu’à ce que Yitro le fît » (Mékhilta Yitro 1). Il apparaît donc que Yitro sut mieux que tous les enfants d’Israël reconnaître les bienfaits du Créateur. La question se pose donc : comment Chmouel conçoit-il que Yitro ait pu éprouver tant de tristesse quant au sort réservé aux Egyptiens ? Selon rav Meïr Rubman (Zikhron Meïr), c’est dans le commentaire du Sforno que l’on trouve une réponse à cette question : « “Yitro frémit“ – c'est-à-dire qu’il ne se réjouit pas de la punition des Egyptiens, comme le devrait un homme défendant l’honneur de son D.ieu : Yitro se réjouit seulement du bien des enfants d’Israël, comme un homme attendri par les larmes des oppressés. » Il s’avère donc que Yitro éprouva effectivement de la reconnaissance envers les bienfaits de D.ieu, mais seulement pour avoir « sauvé Israël ». Cependant, ce sentiment de gratitude ne l’empêcha pas d’éprouver à l’égard de la nation égyptienne une réelle douleur, qui couvrit son corps de profondes rides. Et ceci, parce que même après dix générations, un converti conserve une attache à ses origines.
Ce phénomène mérite également d’être expliqué : comment comprendre la contradiction interne qui habitait Yitro ? D’autant plus que nos Sages dessinent un portrait très flatteur de cet homme, et soulignent l’immense abnégation dont il fit preuve pour se joindre au peuple juif. De la Mékhilta, on apprend ainsi que Yitro renonça pour cela aux plus grands honneurs de ce monde et s’en alla dans le désert. Et le Midrach Tan’houma renchérit qu’il était animé d’un amour profond de la Tora.De fait, même Bil’am – personnage de mauvais aloi – ne put contenir son admiration en parlant de Yitro : « Ta demeure est forte, ton nid se pose sur le rocher ! » (Bamidbar 24,21). Le Midrach (sur Yitro 27,3) nous enseigne que l’appréciation de Bil’am cachait un profond désarroi : « “Kini [l’un des noms de Yitro], n’étais-tu pas avec nous lors du conseil [donné à Pharaon pour lutter contrer les Hébreux] ? Qui t’a donc placé chez ce peuple puissant ?“ Cela est semblable à un oiseau fuyant le chasseur, qui se poserait sur une haute statue. Lorsque le chasseur le rejoignit, il se mit à le flagorner : “Comme ta fuite était remarquable !“ Ainsi Bil’am flattait-il Yitro : “Comme ta demeure est forte !“ »
Or en dépit de sa formidable ascension morale, Yitro ne put s’empêcher de souffrir à cause de la punition infligée aux Egyptiens ! Ce paradoxe nous amène à la conclusion suivante : l’éducation reçue pendant la jeunesse est indélébile, et jamais le cœur ne peut s’en libérer ! Les Proverbes l’affirment d’ailleurs sans détour : « Eduque l’enfant selon ses aptitudes, même lorsqu’il vieillira il ne s’en écartera pas ! » (Michlé 22,6), parce que l’éducation reçue dans le jeune âge est semblable à des racines ; si leur constitution est mauvaise, les pousses qui en sortiront garderont fatalement des séquelles.Toute personne ayant reçu une éducation conforme aux principes de la Tora devra considérer cet atout comme un privilège : sur la base de racines saines et solides, ses chances de grandir spirituellement sont décuplées. Si elle s’applique à exploiter ce potentiel, elle pourra un jour déclarer : « Heureuse notre enfance qui n’a pas porté ombre à notre vieillesse ! » (Souka 23).
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.