« Yitro dit : “Loué soit l’Eternel Qui vous a sauvés de la main des Egyptiens et de celle de Pharaon“ » (Chémot 18,10)
« On a enseigné au nom de Rabbi Papyass : Ce verset contient un blâme pour Moché et les six cent mille hommes d’Israël, qui ne dirent pas : “Loué soit l’Eternel“ avant que Yitro le fasse. » (Sanhédrin 94)
Dans son Béer Yossef, rav Yossef Salant s’étonne : comment Moché et tout le peuple juif purent-ils se rendre coupables d’un tel manquement, au point de négliger de rendre grâce à D.ieu jusqu’à ce que Yitro le fît ? En outre, les Hébreux n’ont-ils pas loué le Créateur par le merveilleux « Chant de la mer », dans lequel ils ne manquèrent pas de détailler les multiples miracles qui se produisirent alors ? Quelle est donc la particularité des mots de Yitro : « Loué soit l’Eternel » ?
En examinant attentivement la teneur du chant de la mer Rouge, nous remarquons que la majorité des versets renvoient aux prodiges réalisés par D.ieu contre l’armée égyptienne. Mais si l’on y proclame l’implacable puissance divine, qui décima toutes les forces de Pharaon, pas une seule fois, il n’est rendu grâce au Créateur d’avoir délivré Israël du danger qui le menaçait. Certes, cette lacune peut s’expliquer par la formidable dimension morale à laquelle accéda alors le peuple juif : ils s’élevèrent tous à des degrés spirituels tels que leur délivrance personnelle devint insignifiante à leurs yeux, comme si les miracles n’avaient aucun lien avec leur propre survie. De fait, nos Sages disent qu’« une servante vit sur la mer des prophéties que même Yé’hezqel et les autres prophètes ne virent pas » (Mékhilta). Le Talmud (‘Haguiga 13b) dit d’ailleurs que Yé’hezqel lui-même ressemblait à un paysan ayant entrevu le roi. Et c’est l’éblouissement de cette vision, qui l’incita à décrire l’ « œuvre du Char » [ma’assé haMerkava] avec tant de détails…
A plus forte raison les enfants d’Israël, à peine libérés de l’esclavage égyptien et aussitôt témoins de visions dépassant celles des plus grands prophètes, furent sans nul doute éblouis sous l’effet de l’émerveillement. Et de fait, on remarque que ce sentiment domine l’ensemble du chant de la mer Rouge : « Je chanterai à l’Eternel, car Il est souverainement grand ; coursier et cavalier, Il les a précipités dans la mer… ». Ainsi, cet hymne au complet est un témoignage de la Toute-Puissance de D.ieu, Qui malmena le cavalier et sa monture en les projetant, rivés l’un à l’autre, dans la mer en furie (Rachi au nom de la Mékhilta). Tout au long de ce chant, l’accent est exclusivement placé sur cet aspect de la délivrance : « Qui est comme Toi, parmi toutes les puissances ? (…) Inaccessible à la louange, fécond en prodiges ! », ce que résument ces simples mots : « C’est mon D.ieu ! » – ce D.ieu puissant et terrible est le mien ! Submergés par ces sentiments, admis à un niveau suprême de Révélation divine, les enfants d’Israël occultèrent leur propre personne, et omirent de rendre grâce pour leur délivrance personnelle du tyran égyptien.
Or bien que cette omission fut le résultat de ce formidable élan spirituel, nos Sages y décèlent pourtant un soupçon de manquement. Et ce, parce qu’en tout état de cause, les enfants d’Israël n’auraient pas dû omettre de dire : « Loué soit l’Eternel ! » En définitive, cette carence demeure inexcusable : aux yeux de nos maîtres, rien ne saurait être prétexte à négliger de remercier D.ieu pour Ses bienfaits !
Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.